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ses propres principes, sans avoir besoin d’invoquer les lumières théologiques ; il semblerait qu’en laissant à l’église, le gouvernement de l’autre et en se réservant celui-ci, l’état ne prendrait pas la plus belle part ; il semblerait qu’en demandant la liberté de toutes les consciences, non comme une tolérance passagère ; mais comme un droit, on rendrait par là à la conscience et à la foi le plus haut hommage, car c’est les considérer comme des choses immatérielles et spirituelles sur lesquelles la force ne doit avoir aucune action ; il semblerait qu’une foi libre, fondée sur la persuasion et sur le choix, aurait plus de mérite qu’une foi de routine ou de violence. — Ce sont là des chimères, disent encore les logiciens. Eh quoi ! la vérité serait sur le même pied que l’erreur ? Dieu a parlé, et sa parole n’aurait pas plus d’influence sur la société temporelle que celle des hérétiques ou des athées ! On nous apprend donc que la séparation du temporel et du spirituel est une erreur, que la liberté de conscience est une erreur ; on va plus loin encore, et on condamne théologiquement des principes vrais ou faux, mais purement politiques, et qui ne semblent en aucune façon relever de la foi. Et de cette façon, si nous nous laissons entraîner par la série de syllogismes que nous avons résumés, il nous faudra soumettre non-seulement notre conscience religieuse, mais notre conscience politique à une autorité étrangère.

Heureux les esprits violens et aveugles qui, placés aux deux extrémités du monde intellectuel et moral, ne craignent point d’affirmer avec la même assurance, les uns que la matière avec ses lois brutales est le principe de toutes choses, les autres que toute liberté est une folie, et qu’il y a quelque part sur la terre un souverain infaillible devant lequel toute créature humaine doit s’incliner !… Malheureux les esprits éclairés qui ne sont point disposés à se laisser déposséder du droit de penser par eux-mêmes, et qui ne le sont pas non plus à cesser de croire que le monde moral a un guide et un juge ! Entre l’athéisme et la servitude de la conscience et de la pensée, l’alternative n’est pas gaie : c’est là que conduit pourtant ce procédé à outrance qui est la plaie de notre temps. Nous avons essayé de le surprendre en défaut sur un point particulier d’un intérêt tout spéculatif. On pourrait également en trouver d’autres exemples dans des problèmes plus présens et plus ardens ; mais, comme dit spirituellement Platon lorsqu’il veut esquiver les discussions trop délicates, « ce sera pour une autre fois, »


PAUL JANET.