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salutairement excitant, ce qu’elles peuvent produire, ne fût-ce qu’en contraignant ceux qui se sentent surpris et choqués à se replacer en face des mêmes questions, à les interroger avec des connaissances plus étendues, avec une réflexion plus aiguisée ; mais il est très vrai aussi qu’elles épaississent sur les idées d’étranges obscurités, et elles laissent dans l’esprit qui les conçoit des empreintes particulières, un pli indélébile. Le talent de M. Taine tombe du côté où il penche, et même il s’y précipite quelquefois. L’habitude de tout condenser en systèmes et en formules laisse en lui une certaine lourdeur, je ne sais quelle apparence de tension et d’effort. Le talent de M. Taine se ressent d’une double façon de ses habitudes systématiques. D’abord, par le genre de ses idées et de ses études, il est porté à tout ce qui est image matérielle et sensible, et, une fois sur ce chemin, il va jusqu’au bout, il arrive à la crudité. Est-ce un critique qui parle ? — Je ne sais trop ; c’est bien plutôt un mathématicien, un géologue, un anatomiste, un naturaliste, se déployant à l’aise, vous décrivant les fonctions et les organes, vous préparant à l’étude des choses morales par l’analyse minutieuse de l’appareil de l’estomac et de tout ce qui sert à la digestion. Les images matérielles affluent sous sa plume. Veut-il expliquer la hiérarchie des caractères dans l’homme, il vous dira : «… Le temps gratte et creuse sur nous comme un piocheur sur le sol et manifeste ainsi notre géologie morale. Sous son effort, nos terrains superposés s’en vont tour à tour, les uns plus vite et les autres plus lentement. Les premiers coups de bêche raclent aisément un terrain meuble, une sorte d’alluvion molle et tout extérieure ; viennent ensuite des gravois mieux collés, des sables plus épais, qui, pour disparaître, exigent un travail plus long. Plus bas s’étendent des calcaires, des marbres, des schistes étages, tous résistans et compactes ; il faut des âges entiers de labeur continu, de tranchées profondes, d’explosions multipliées, pour en venir à bout. Plus bas encore s’enfonce en des lointains indéfinis le granit primitif, support du reste, et, si puissante que soit l’attaque des siècles, elle ne parvient pas à l’enlever tout entier….. » Et tout cela à propos de l’idéal dans l’art, pour dire qu’il y a dans l’homme des choses qui passent et se renouvellent incessamment comme les usages, les mœurs ou les caprices de la mode, d’autres choses plus durables comme les caractères, les inclinations de la race, d’autres choses enfin indélébiles, immuables, parce qu’elles sont dans l’essence de la nature humaine. Les gravois, les calcaires, le schiste, le granit, prodigieux entassement devant lequel on reste plus émerveillé qu’éclairé, — sans compter qu’au bout de la période on a presque perdu le fil.

Une autre conséquence qui résulte pour le talent de M. Taine de