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le dernier mot du discours de M. Thiers, dont le sens profond avait pénétré d’avance l’esprit de son auditoire, et a désormais envahi l’intelligence du pays.

La majorité de la chambre a écouté avec tristesse sans doute, mais avec une respectueuse sympathie la belle et forte harangue de M. Thiers. L’accueil qu’elle a fait à l’orateur et au patriote est un symptôme intéressant de la situation présente. Cette fois-ci, le grand défenseur des libertés nécessaires a pu conduire sa démonstration jusqu’au bout ; aucune interruption n’est venue troubler le large développement de sa pensée. Nous connaissons la mobilité des assemblées ; il est cependant probable que les impressions qui semblent avoir atteint la majorité ne seront point éphémères. Beaucoup de bons esprits, dans ses rangs, commencent à comprendre que le moment est venu où les procédés de gouvernement en France doivent être renouvelés. On sent la nécessité d’élever des garanties contre l’initiative trop absolue du pouvoir. Le discours remarquable d’un des membres les plus avisés de la majorité, M. Larrabure, est une révélation de ces dispositions nouvelles de la chambre ; M. Larrabure a voté les crédits extraordinaires de 1867, et annonce son adhésion formelle à la nouvelle loi militaire ? mais il appuie ces actes sur une critique de la politique étrangère du gouvernement qui ne diffère point des sévères objections de l’opposition. Quand M. Jules Favre, que la hauteur de sa pensée et la gravité de son éloquence rendent peu sensible aux ménagemens de circonstance, qualifie les faits contemporains dans le langage direct que parlera l’histoire, la majorité, il est vrai, touchée au vif, se récrie avec emportement ; mais il ne faut point exagérer l’importance de ces explosions passionnées. Il y a une sorte d’ébranlement dans la majorité ; lors même que l’expérience et la prévoyance n’auraient point suffi pour susciter ces incertitudes et ces agitations d’esprit, le caractère de provisoire qu’on laisse depuis six mois à la situation politique en serait encore l’explication toute naturelle.

Les retards mis à la réalisation du programme du 19 janvier ont produit dans la politique intérieure un état fort singulier de suspension et d’indécision. Le laissera-t-on se prolonger toute cette année ? Ce serait un incident curieux de l’histoire contemporaine. L’esprit français n’est point propre à ces conditions indécises. Il a des instincts de logique et des besoins de netteté qui doivent être promptement satisfaits. Il faut lui présenter des systèmes de conduite clairs et intelligibles. Nous ne savons guère, à vrai dire, sous quel régime nous sommes en ce moment. L’opinion a de nouvelles exigences : elle commence, par exemple, à donner de l’importance aux questions de personnes dans la composition du cabinet. On se met à chercher des systèmes dans des noms propres. Un discours très net et très direct de M. Latour-Dumoulin, prononcé au début de la discussion générale du budget, a posé la question ministérielle.