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des conseils de réforme, lors même, qu’il ne serait pas question de charte et de gouvernement représentatif ; il hériterait purement et simplement du gouvernement inerte de son prédécesseur. »

Trois mois après que M. de Barante écrivait cette lettre, le prince de Carignan était le roi Charles-Albert. Les événemens se pressèrent en Italie ; l’insurrection éclata à Modène, à Parme, à Bologne ; les Autrichiens intervenaient, comprimaient, se retiraient, intervenaient de nouveau contre une nouvelle insurrection. Le gouvernement français tint alors avec éclat la conduite que, dès le début, il avait annoncée. Nous occupâmes Ancône. M. de Barante avait vivement conseillé et approuva hautement cet acte. L’influence française, sans dépasser les principes de notre politique générale, grandissait visiblement en Italie ; elle était plus que jamais redoutée et repoussée à la cour de Turin, et le 10 octobre 1832 M. de Barante écrivait au général Sébastiani : « Il faut que je revienne avec plus de détail sur le caractère du roi Charles-Albert et sur le train actuel de son gouvernement. J’ai, depuis près d’un an, exposé à votre excellence comment il a de plus en plus accordé, je ne dirai pas de la confiance, c’est un mot qui ne va pas au roi de Sardaigne, mais du crédit à toute la faction congréganiste ; elle est passionnément hostile à notre gouvernement, elle occupe ici presque tous les emplois ; dans le corps diplomatique, elle a deux auxiliaires dévoués ; dans le ministère, M. le comte de la Tour appartient par ses alentours, ses opinions et ses souvenirs à ce parti, mais il est un homme si prudent, si éloignée de tout ce qui est décision et action, qu’il arrête plutôt qu’il ne sert les gens ardens. Ils n’en sont pas moins en possession de l’influence dominante, et cependant on ne peut pas dire que le roi Charles-Albert y cède aveuglément. Il y voit sa sûreté actuelle ; il est sur cette voie et la suit, ne trouvant en lui-même ni une volonté ni une conviction suffisante pour en sortir ; mais il n’a ni illusion ni penchant véritable pour ce genre d’opinions. Dans son intérieur, dans les conversations particulières, et il n’en a jamais d’autres, il se laisse dire tout ce qu’on veut sur le parti qu’il favorise, sur les hommes qu’il emploie, sur ses ministres même ; il renchérit sur les observations qu’on lui présente, si bien que j’ai vu parfois des personnes qui l’approchaient convaincues qu’il allait changer de direction. Pourtant il n’est pas à croire qu’il en ait la pensée actuelle ; c’est de sa part une sorte, non pas de mobilité, mais d’indécision. Au fond, il est sans conviction aucune et, sans avoir de malveillance active, sans avoir jamais nul plaisir à affliger personne, il ne sait ce que c’est que la confiance, l’affection, rattachement ; il a les hommes en dégoût et presque en mépris ; il aime les conversations dénigrantes. Quant aux opinions,