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PROSPER RANDOCE.

— Voilà un doute qui vous a coûté cinquante mille francs, mon garçon.

— Je voudrais en dépenser deux crut mille et découvrir qu’il est honnête homme !

M. Patru Unissait par s’écrier : — Vous êtes par trop naïf, monsieur le gonfleur 1 de ballons.

À quoi Didier répondait en riant : — Vous êtes par trop rancunier, monsieur le faiseur d’épithalames.

Ainsi les rôles étaient intervertis. C’était M. Patru qui, crainte de pire, prêchait a Didier l’inaction ; ne pouvant mieux, Didier s’y résignait, non sans regret. Du reste, pour tout dire, il reprenait peu à peu ses anciennes habitudes. Hors quelques visites aux Trois-Platanes et celles que lui faisait M. Patru, il ne voyait presque personne. Chaque matin, il donnait quelques heures à ses affaires, et, le printemps réveillant son humeur marcheuse, il employait le reste du jour à de longues promenades pédestres. Les pins et les rochers de Garde-Grosse, ses vieux et fidèles amis, lui tenaient le même langage qu’autrefois ; ils lui prêchaient cette indifférence suprême, cette impassible ironie qui est l’âme de la nature ; les bois tiennent école, et la sagesse qu’ils enseignent consiste à se laisser vivre en regardant couler les heures et les choses. Cette sagesse était bien connue de Didier ; il s’en imprégnait de plus belle en humant l’air de la montagne et le parfum de la résine. Il avait forcé son naturel, le naturel revenait ; son âme se remettait dans ses plis, et les impressions qui avaient agité pour un temps sa torpeur s’effaçaient de jour en jour.

Mais vers la fin du mois de mai, un coup de sonnette le réveilla en sursaut. Il reçut une lettre qui lui donna fort à penser. M. Lermine lui mandait qu’il était depuis peu en Dauphiné ; il s’excusait d’avoir traversé Nyons sans être venu le voir ; l’état de sa santé, qui s’était subitement aggravé, l’avait contraint de courir tout droit au remède, et il n’avait fait qu’une traite de Paris à la fontaine de Saint-May. Depuis quatre ou cinq jours qu’il était arrivé, l’eau merveilleuse avait agi ; il se sentait un autre homme. Il rappelait à Didier sa promesse, le priait instamment de venir passer une semaine ou deux à Saint-May. Outre qu’il était impatient de le voir et de rompre quelques lances avec lui, il désirait lui demander des renseignemens sur un de ses amis, M. Prosper Randoce ; de ces renseignemens dépendait une décision qu’il avait à prendre. À ces derniers mots, Didier tressaillit. Son frère ressuscitait soudain devant lui. Qu’y avait-il entre M. Lermine et Prosper ? Il se rappelait le ton véhément dont celui-ci s’était écrié : — « Sonnez, piqueurs, la curée va commencer. » Alléché par ce friand spectacle,