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Et là-dessus il expliqua complaisamment à Didier qu’il était né de parens très pieux, que son père, quand il vivait, n’avait jamais manqué de l’aire ses pâques. Didier ignorait ce détail de la vie de Pochon. Élevé par ce coureur d’offices, Prosper avait joint pendant longtemps les pratiques à la foi. Il convenait que plus tard, emporté par le tourbillon du monde et par l’ardeur de ses curiosités, il avait donné dans les hérésies du jour ; mais il n’y avait pas trouvé son compte, et toutes les fois qu’il rentrait en lui-même, il y découvrait un vieux fonds de croyances très vivaces, qui poussaient chaque année dans son cœur de nouveaux rejets. Il ne savait qu’y faire, il avait l’imagination catholique ; le son des cloches lui causait d’étranges frissons ; la vue d’une soutane le faisait rêver. La sagesse, disait-il, ne peut expliquer toutes les absurdités apparentes des choses, et il est bon qu’il y ait ici-bas des robes noires pour rappeler aux hommes que leur vie est enveloppée dans le sein d’un éternel mystère comme le fœtus dans les eaux de l’amnios.

Puis, se dressant sur ses étriers : — Au surplus, s’écria-t-il d’une voix tonnante, n’est-il pas d’une âme noble d’épouser le parti du faible contre les puissances du jour ? Peuples et rois, tout l’univers se ligue contre un pauvre vieillard qui, fort de son infirmité, inquiète l’insolence de ses vainqueurs par l’immobilité de son infortune, et leur montre ce que peut une faiblesse qui se tient debout en se couronnant de ses défaites. Voltaire et le dieu Pan triomphent ; l’église est persécutée, demain peut-être elle rentrera dans les catacombes. À qui porte dans sa poitrine le cœur d’un chevalier, il est doux de revêtir les couleurs de cette auguste victime et de rompre une lance pour elle. Je foulerai le basilic, je mettrai le pied sur le dragon…

— Le malheureux me récite son prospectus ! pensait Didier, dont les nerfs étaient fortement agacés par cette vibrante éloquence. L’œil fixé sur ce preux chevalier de l’église, il songeait à ces malandrins dévotieux qui, tout en guettant leur proie, font faire l’oraison jaculatoire à leur escopette : Seigneur, accordez-moi de viser juste !

À peu de distance au-delà de Sahune s’ouvre un tortueux défilé long de près de dix kilomètres. Dans cet étroit boyau creusé par l’Aygues, il n’y a place que pour la rivière et pour la route ; encore la route a-t-elle été le plus souvent taillée dans le roc. À droite et à gauche se dressent deux murailles de rochers dont les puissantes assises, qui semblent avoir été tirées au cordeau, simulent par endroits des entablemens, des architraves, des créneaux et des corniches ; çà et là ces bancs superposés sont interrompus par de larges crevasses où l’on voit se précipiter une véritable cascade de végétation. Térébinthes, arbousiers, halliers et buissons, arbustes et