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PROSPER RANDOCE.


d’explications inutiles nt au-dessus de mes forces.

— Je ne sais ce que vous voulez dire, madame, reprit Didier en s’approchant d’elle.

Elle lui répondit d’un ton de méprisante amertume : — Oh ! monsieur, vos mérites me sont connus. L’homme dont j’ai juré de ne plus prononcer le nom m’a déclaré que vous étiez le phénix des amis, le confident de toutes ses pensées, son conseil. Vous avez cherché à lui inspirer des goûts solides, vous lui avez appris qu’il est dangereux de fonder sa fortune sur la chimère d’une affection de femme, que les affaires sont plus sûres… et je suis bien trompée, ou c’est grâce à vos libéralités que ce galant homme est parvenu à faire ce qu’il appelle une retraite honorable.

Pendant qu’elle parlait, Didier ressentit dans tout son corps une commotion douloureuse : — Ô le malheureux ! dit-il à mi-voix ; puis avec un accent de loyauté où se révélait le gentilhomme : — Je sais tout, madame, s’écria-t-il, parce vous m’avez tout dit ; mais je vous jure qu’hier encore…

« Elle l’interrompit d’un geste impérieux : — Et que nous importe, à vous et à moi ?.. Attacheriez-vous par hasard quelque prix à mon estime ?

Et comme il revenait à la charge et protestait avec chaleur de son ignorance et de sa bonne foi : — Vous nous faites perdre un temps précieux, reprit-elle. Suis-je en état de vous entendre ? J’ai une prière, une seule à vous adresser. Daignerez-vous m’écouter ?

Il s’inclina. — Une femme, continua-t-elle, de mon caractère et de mon âge (car on a pris soin de m’apprendre mon âge) peut supporter bien des choses. Elle peut se consoler d’une infidélité, se résigner à une trahison… Je ne suis pas bien exigeante ; je consens à vivre après avoir placé mon cœur en si bas lieu que je n’y puis songer sans rougir… Mes souvenirs, mes misères, j’accepte tout ; mais enfin, il est des efforts impossibles, il est des insultes qu’on ne dévore pas… Quoi ! je serais exposée à revoir cet homme chez moi, à rencontrer ses regards ! Persuadez-lui, monsieur, persuadez à cet homme d’honneur que j’ai le droit de tenir ma honte à distance. Qu’il s’éloigne ! qu’il me fasse la grâce de ne plus exister pour moi ! Il a tant de ressources dans l’esprit… Ne peut-il inventer quelque autre gagne-pain que d’exploiter le mari après avoir rançonné la femme ?… Je serai ce soir à Saint-May. Je ne sais ce que j’y ferai, ce que j’y dirai. Voulez-vous nous épargner à tous une scène affreuse ?… Regardez-moi bien, monsieur : ne sentez-vous pas que je suis capable de tout ?

Elle disait vrai. Didier ne s’apercevait que trop qu’elle ne se commandait plus, qu’elle avait la tête perdue. Il s’empressa de lui dire