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en Illyrie par les Gaulois), — descend jusqu’à ses genoux ; ses jambes sont entourées de guêtres brodées, des boucles d’argent brillent à sa cheville et à ses genoux. Ce pallicare qui soigne avec amour son énorme moustache et sa longue chevelure ressemble médiocrement au haîdouk que nous peignent les pesmas serbes.

Les chants donnent une idée aussi précise des mœurs des klephtes que de leur costume. Transportons-nous donc au bivouac, à l’ombre de ces beaux platanes qu’on ne se lasse pas d’admirer en Grèce, le « platane aux larges feuilles » de Moschus. « Trois platanes se dressent sur la même ligne ; l’un d’eux répand une ombre épaisse ; à ses branches sont pendus des sabres, son tronc est hérissé de carabines, et Varlamis est couché à son ombre. »

Grâce aux pasteurs roumains, qui leur fournissaient des moutons, les klephtes faisaient une cuisine dont j’ai pu apprécier les avantages dans les gorges du Parnasse. Totzkas et des braves « rôtissent des agneaux et ont des boucs en broche ; ils ont aussi du vin doux qu’ils tiennent au frais dans un puits. » Chez ce peuple jaseur, on peut deviner que ces festins ne s’achevaient pas en silence. « Hier comme avant-hier, je passais auprès des bivouacs des klephtes, et j’entendis Totzkas endoctriner ses pallicares. — Enfans, si vous voulez vivre indépendans et libres, cuirassez-vous le cœur d’acier et ferrez-vous la plante des pieds ; ne buvez pas de vin[1] et n’aimez pas le sommeil, car le sommeil est la mort et traître est le vin[2]. » Lorsque les klephtes descendaient dans la plaine, ils ne se contentaient, pas du mouton klephtique. Ils se faisaient traiter comme des primats. « Qui a vu le soleil dans la soirée et des étoiles à midi ? qui a vu le capitaine Athanase Karabélas ? — Moi j’ai vu le soleil dans la soirée et des étoiles à midi., J’ai vu le capitaine Athanase Karabélas au khani (Χάνι) du Gui. Cinq aubergistes lui servent d’échansons, cinq autres apportent les plats… »

Le liméri, le camp des klephtes, présente, selon les circonstances, des spectacles bien différens. Tantôt à « la fontaine du platane » on voit les klephtes protégés par les hauts pics et au bord d’une source fraîche faisant rôtir les agneaux et les béliers que le capitaine arrose de vin doux versé à Diakos sous le sapin par Kroustallo aux sourcils bien dessinés et aux joues roses ; tantôt les « liméris des klephtes, la klephtourie, les redoutes klephtiques » offrent l’image de la désolation. On y trouve des têtes à terre, des têtes suspendues et de sinistres oiseaux qui font d’étranges conversations avec une « tête séparée des autres. »

  1. Probablement avec excès. Au reste j’ai entendu dans ma jeunesse des Orientaux,. d’ailleurs instruits, regarder le vin comme une substance dangereuse.
  2. Dans un autre chant, Déli-Iskos donne à peu près les mêmes conseils à ses Albanais.