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tempête, marche sur les flots soulevés avec des bottes faites d’herbes marines, et qui conduit au port les marins fidèles à son culte. Aussi tout navire gardé par lui est bien gardé. « Il te faut, mon maître, disent les matelots dans un chant de la Saint-Basile (le jour de l’an), armer une frégate — qui ait la poupe haute, la proue comme un lion, — qui ait des mâts de bronze et des vergues d’argent — et les voiles de soie et les antennes d’acier. — Qu’à l’avant soit le Christ, au milieu la Panaghia — et à l’arrière, au gouvernail, saint Nicolas ! » En général, la poésie, fidèle à ces instincts polythéistes, si puissans chez les Indo-Européens, traite les saints comme des puissances de premier ordre. Un chant suppose que saint Athanase peut accorder une longue vie. Saint George est encore plus estimé, surtout des filles, car sa fête, qui tombe au printemps, est toujours féconde en mariages.

Le Christ « roi du ciel » apparaît aussi à la tête du cortège des bienheureux ; mais, quoique le dogme de l’incarnation soit aussi conforme au génie européen qu’il répugne au monothéisme rigide des sémites, il n’a inspiré à la poésie populaire[1] aucun chant digne de ce Verbe éternel dont Platon et les alexandrins ont raconté la mystérieuse origine. Les chants consacrés à sa naissance ont plutôt, quand ils ne sont pas complètement insignifians, l’accent satirique des noëls français que le ton mystique des « séquences » du moyen âge. Le pâtre oriental, dont la vie ne ressemble guère à celle d’un farmer anglais ou d’un cultivateur flamand, adresse à la Panaghia les mêmes prières que ses pères récitaient aux pieds du protecteur des bergers, à « Pan maître de la glorieuse Arcadie[2], » — « Les voleurs m’ont pris le bélier qui portait la clochette… Je vous en supplie, Panaghia, punissez les voleurs… »

Les chants consacrés à Perpérouna, médiatrice des paysans en temps de sécheresse (la Papaluga des Roumains), ont un caractère encore plus primitif que cette naïve prière, car ils rappellent d’une manière frappante les hymnes du Rig-Véda dans lesquels d’autres fils de la race indo-européenne demandent la pluie au ciel. Il faut avoir parcouru à cheval la Grèce pendant la saison brûlante pour comprendre l’ardente supplication exprimée dans de pareils chants. Le calcaire nu des nombreuses collines n’absorbant ni ne retenant l’humidité, la pluie s’écoule aussi rapidement qu’elle tombe. Comme elle ne manque ni en automne ni en hiver, les rivières sont des torrens au printemps, « en mars les monts fleurissent, avril arrive avec les roses, mai remplit toute la campagne de bourgeons

  1. L’antique poésie chrétienne s’est exercée sur ce sujet. On trouvera dans les Analekten de M. Ellisen le Christ souffrant, par saint Grégoire le théologien.
  2. Hymne à Pan, dans Athénée, l. XV, ch. 14.