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de diamans, causaient languissamment sur les divans circulaires, tandis que des pages, en robes à la mode turque, en vestes grecques brodées, promenaient à la ronde le mastic de Khios[1]. Filles et veuves n’étaient pas invitées à s’asseoir le jour des festins officiels à ces tables longues et larges, couvertes de girandoles ornées de mille colifichets en papier peint, au-dessus desquelles s’agitaient, suspendus par des fils, de petits oiseaux qu’on finissait par lâcher, et qui portaient aux conviés ces distiques dont sont remplis les recueils de poésies populaires.

Mais l’amour est ingénieux. Combien de fois un jeune Hellène épris, ne pouvant franchir le seuil si bien gardé du gynécée, n’a-t-il pas profité de l’obscurité pour glisser en bateau sous les jalousies des palais grecs de Thérapia, dans l’espérance que son chant arriverait porté par la brise, jusqu’à des oreilles attentives ! D’autres plus timides, après avoir contemplé de loin l’objet aimé, confient leurs vœux au zéphyr, comme l’aurait fait un fils de la Grèce antique.

Si dans ces sphères élevées de la société la prévoyance et l’sprit de calcul, bien plus développés chez les Hellènes que chez les Roumains et les Slaves, mettaient un frein aux instincts turbulens des races méridionales, dans le peuple l’amour du plaisir l’emportait sur toute considération. Les filles des paysans et des bûcherons, qui formaient les lentes ondulations de la romaïka dans les majestueuses forêts de Beligradi, et en général les Hellènes des bords du Bosphore applaudissaient avec trop d’ardeur au refrain de Madame Mariora pour que la morale de ce chant populaire n’eût pas quelques analogies avec leurs propres impressions. Même la papadia (femme de prêtre), qui joint à la turbulence un manque absolu d’orthodoxie, ne semblait pas causer trop de scandale. Cette papadia d’un chant rouméliote, comme Mme Mariora, ne se plaît qu’au bal avec les élégans, au milieu des tabliers brodés, verts et bleus. Son mari s’approche d’elle en priant et lui dit :


« Arrête-toi un moment, papadia, que je te dise deux mots : — Folle, où as-tu laissé les enfans et ta pauvre maison ? — Va chez toi, mon papas, va aussi chez tes enfans ; — moi, je vais aller avec les jeunes gens, avec les élégans. — Hé ! où as-tu mis les choses saintes pour que j’aille faire la liturgie (dire la messe) ? — Que le feu brûle les choses saintes, toi et la maison ! »


Chez les Hellènes asiatiques, la lutte des races et des religions, sans produire des conflits armés comme en Europe, se manifeste pourtant avec une grande vivacité. Dans l’île de Chypre, la poésie populaire atteste l’antagonisme des Hellènes et des Israélites :

  1. Résine du pistachia lentiscus de l’île de Khios.