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« Après un jour de dimanche, le lundi de grand matin, — je me lève et vais en bas, au quartier juif. — J’y trouve une jeune fille juive qui se peignait — avec un petit peigne d’or, et qui se parait. — Avant que je lui parle, avant que je lui dise rien, — elle se tourne et me dit : Sois le bienvenu, toi que j’aime. — Bienvenus soient mes deux yeux, que je désire. — Je dis à la jeune Juive : Fais-toi chrétienne ; — tu te baigneras le samedi et tu feras ta toilette le dimanche, — et tu communieras à Pâques. — Elle le rapporte à sa mère pour voir ce qu’elle dirait : — Mieux vaudrait, ma fille, que tu fusses dévorée par le sabre d’un Turc — que de me répéter ce que tu m’as dit. »


Un chant smyrniote, quoique moins développé, n’est pas en ce sens moins caractéristique. La lutte entre l’Europe et l’Asie qui se révèle dans ces vieilles querelles de race existe même parmi les Hellènes. Sans doute le monde hellénique tout entier a pris part à la catastrophe qui a frappé Khios au commencement du siècle ; cependant on retrouve encore dans la poésie populaire la trace des divisions qui ont existé de tout temps entre les Hellènes d’Asie et les Hellènes d’Europe, les premiers ayant toujours beaucoup mieux supporté que les seconds le joug de l’étranger. On trouve enfin en Grèce, comme partout, des rivalités provinciales. Un chant rouméliote maudit les Moréotes et les Maïnotes qui ont tué le gouverneur (le président Capo d’Istria). Ce chant, accuse les profondes différences qui existent entre les deux élémens qui forment le royaume hellénique, la Morée et la Roumélie. Parfois, quand les rapports entre les localités de la même province sont rares et difficiles, comme en Acarnanie, tel canton maudit tel autre, comme dans le joli chant qui nous montre les intrépides montagnards du Xéroméro anathématisant les gens du Valtos, non moins braves qu’eux : « Qu’Arta devienne un rocher et que le Valtos s’abîme, — et que Dieu garde le pauvre Xéroméro, — qui a de doux vins et de belles, jeunes filles ! — Les belles sont à Makhala et les blanches à Kattouna — et à Biko et aux villages des blondes et des yeux noirs. »

Enfin il ne serait pas impossible de découvrir en Grèce des partisans des théories exposées dans Candide, qui traitent avec une égale sévérité les gens de l’Attique et les gens de Lesbos. C’est un de ces imitateurs de Martin le manichéen qui est l’auteur de ce proverbe : « les Athéniens, les Thébéens et les méchans Mityléniens disent d’une façon le matin, — et le soir ils n’en font rien. » Les antipathies provinciales n’empêchent point la nationalité hellénique de posséder une très forte unité. Elle ne s’est point laissé comme d’autres populations, les Serbes par exemple, diviser par les religions étrangères. Sauf quelques fractions sans importance, les Hellènes appartiennent tous à une église vraiment nationale, en ce sens que sa métaphysique s’est, dès l’origine, profondément