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« l’heure d’aller à l’étranger » à « l’heure de l’esclavage, » en ajoutant que « l’herbe ne pousse plus » dans le lieu où l’enfant se sépare de la mère, où se séparent « les époux qui s’aiment. » Les argumens ne manquent pas pour justifier ces appréciations sinistres. « Mon petit oiseau blanc, affligé, — où tu veux aller, aller passer l’hiver, — il n’y a ni arbrisseau, ni douce verdure ! , » L’homme n’est pas meilleur que la nature « dans les tristes pays étrangers. » Chacun s’y lasse de la plus vulgaire hospitalité. On raconte des histoires qui prouvent que la femme même n’y connaît pas la compassion. « Des étrangères lavent mes habits, des étrangères les époussettent. — Elles les lavent une fois, elles les lavent deux fois, elles les lavent trois fois et cinq fois, — et après les cinq fois elles les jettent dans la rue. — Prends tes habits, étranger, prends aussi tes hardes, — et va chez ta mère ! » Dans un autre chant, ces mégères ajoutent, après avoir lavé seulement trois fois le linge : « Ici on ne trouve pas d’eau, on ne vend point de savon ; — ici les pierres sont pesées, la terre se vend à la drachme. »

D’autres inquiétudes se mêlent à ces terreurs. Quoiqu’on prenne la sage précaution de maudire celui qui aime « bien loin à l’étranger, » qui n’aime pas « chez nous, ici, dans notre voisinage, » les mères ni les jeunes filles ne sont pas rassurées. La mère ne redoute pas seulement « la fascination et le mauvais œil, » elle craint aussi que l’étranger « n’égare son fils et que celui-ci n’oublie ses parens. De fait, il arrive quelquefois qu’un jeune homme charge les oiseaux de dire à ses « anciennes amours » qu’il ne peut revenir parce qu’une sorcière qui « charme les fleuves et les mers » le retient auprès de sa fille. On comprend qu’une jeune personne qui voit partir son bien-aimé ne songe pas sans épouvante à de tels périls, fort sérieux pour les imaginations méridionales, que la magie n’inquiète pas moins que le mauvais œil. De beaux yeux sont d’ailleurs, et on s’en doute, de dangereux sorciers. Mères et amantes ne connaissent-elles pas cette énergique et mélancolique conclusion d’un chant : « Au premier baiser d’une femme aimée, il soupire ; au second, il se trouble ; — au troisième, empoisonné, il oublie sa mère ? » Aussi les adieux des amans sont-ils parfois mêlés de tristes pressentimens. « La pierre que tu as foulée en entrant dans la barque, — que ne sais-je où elle est pour la couvrir de larmes ! » — « Et là où tu vas, mon petit oiseau, là où tu aborderas, — tu verras bien des jeunes filles, et moi, tu m’oublieras ! » Le véritable Hellène ne perd pas ainsi le souvenir de tout ce qu’il aime. Les amours des tourterelles le font penser aux siennes, et il prend les nuages pour messagers. « Mars est venu, avec mars sont venues les hirondelles, — et aux sources