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qu’un grand personnage politique autrichien lui marquait son étonnement au sujet de ces explosions d’idées qui déconcertaient sa logique, « la logique hongroise, répondit vivement le Magyar, n’est pas la même que la logique allemande. » Ne voyez là ni épigramme ni impertinence ; le comte Széchenyi formulait à sa manière le trait que je viens d’indiquer. A juger de haut, à embrasser dans leur ensemble les œuvres du grand Magyar, et nous pouvons le faire aujourd’hui plus facilement que ses contemporains immédiats, il est clair que le comte Széchenyi avait un but auquel il marchait résolument ; ce but, ce n’était pas moins que la destruction du vieux magyarisme et l’enfantement du magyarisme nouveau, du magyarisme régénéré par l’esprit moderne et appelé à renouveler aussi la vieille Autriche sans se séparer d’elle.

Je résume, sur pièces authentiques, la suite des idées et des actes que la logique hongroise inspirait au comte Széchenyi. Pendant les cinq premières années de sa vie active, de 1825 à 1830, il s’était attaché, on l’a vu plus haut, à éveiller le sentiment de la communauté nationale ; l’esprit public une fois réveillé, le tribun va le saisir des plus hardis problèmes. Le premier de ses grands manifestes paraît en 1830. Le titre est bien simple : Le Crédit, pas un mot de plus. « Si l’auteur de cet ouvrage, dit l’un des biographes du comte, n’eût été qu’un simple publiciste et non un magnat opulent, il aurait été infailliblement condamné pour crime de haute trahison. Que contenaient ces pages en effet, de la première à la dernière ? Une attaque radicale contre tout l’édifice social et politique de la Hongrie, une déclaration de guerre à l’idée traditionnelle, à l’idée populaire de la vieille liberté hongroise. » La Hongrie avait encore en 1830 un droit public et privé tout rempli de l’esprit féodal. Ces institutions, que les magnats défendaient comme l’arche sainte, le peuple même les entourait d’un respect superstitieux, croyant l’existence nationale attachée à ces formules d’un autre âge. Le comte Széchenyi, au nom de l’esprit moderne, les soumet à une critique sans pitié. Il prouve que le droit féodal, dans les conditions du monde nouveau, bien loin de protéger le maître du sol, le paralyse, le ruine, le tue. Il prouve que le seigneur magyar, si fier de sa liberté, est l’homme le moins libre de la terre, puisqu’il ne peut disposer de ce qu’il possède. Maintes questions de détail, dîmes, corvées, entretien des routes, étaient liées au système général ; il les prend une à une il montre comment ces pratiques despotiques et routinières sont nuisibles aux intérêts de tous. C’étaient les seigneurs avec leurs privilèges, c’étaient les comitats avec leurs attributions locales qui réglaient le tracé des routes et les prestations individuelles ; le jour où une direction centrale dominera ces