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on le pense bien, dans les procès de maître à colon ; les lois de corporation enchaînaient l’ouvrier au travail que lui avait imposé le hasard ; il y avait enfin sur tous les points, sous toutes les formes, des entraves, des monopoles, des iniquités sans, nombre ; Parmi ces lois des temps barbares, les unes étaient odieuses, les autres simplement absurdes. Que les lois odieuses fussent adoucies dans la pratique par les progrès des mœurs et la générosité de l’esprit hongrois, on n’en saurait douter ; comment nier pourtant que les lois absurdes fussent une cause d’affaiblissement continu, c’est-à-dire à brève échéance une menace de ruine pour la nation magyare ? Le comte Széchenyi était donc bien inspiré lorsque, après avoir dénoncé le mal, il indiquait si nettement le remède. Cet ensemble de lois fécondes opposées par le réformateur à des institutions désastreuses fut salué comme une sorte d’Évangile par les générations qui venaient de se lever à son appel.

L’effroi même que la fougue du comte Széchenyi inspirait aux derniers représentans du vieux magyarisme contribua au succès du livre. Ses deux premiers manifestes avaient paru librement à Pesth ; le troisième, arrêté par la censure, fut imprimé hors des frontières de la Hongrie et de l’Autriche ; c’est à Bucharest que le comte Széchenyi dut chercher un éditeur, c’est de la Valachie qu’arriva aux lecteurs du généreux tribun le programme de la Hongrie nouvelle. Le succès fut immense. L’image du pays régénéré enchantait les esprits. On avait pu empêcher l’impression de l’ouvrage, on ne put empêcher la nation d’accueillir avec enthousiasme cet idéal d’une liberté régulière et d’une existence agrandie. Dans toutes les diètes locales, dans toutes les discussions des comitats, partout où l’initiative du comte depuis 1825 s’était préparé un auditoire, les projets du Stadium étaient devenus le programme des orateurs. Cette école des juristes, représentée aujourd’hui avec tant d’éclat par M. Franz Deák, comment s’est-elle formée ? Au souffle ardent de Széchenyi. Ce sont les idées de Széchenyi, c’est la suppression des privilèges féodaux, c’est l’établissement de l’égalité civile que Franz Deák, Paul Nagy, Nicolas Vesselényi, avaient pris comme point de départ dans les brillantes et orageuses sessions de 1832 à 1836.

On s’étonnera peut-être que des idées si simples, un demi-siècle après la révolution française, aient demandé tant d’efforts aux réformateurs hongrois. C’est que les épreuves de la Hongrie avaient accoutumé le patriotisme à une défiance ombrageuse ; regardez-y de plus près, cette œuvre qui nous semble si naturelle apparaît au contraire toute hérissée de complications. On avait vu au XVIIIe siècle un souverain philosophe entreprendre la réforme des institutions du moyen âge et gratifier la Hongrie des bienfaits de l’égalité