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civile ; par malheur ce philosophe couronné employait le despotisme à l’établissement des idées les plus justes. Est-il besoin de nommer Joseph II ? Avec les meilleures intentions, le fils de Marie-Thérèse ne réussissait qu’à se rendre odieux. Poursuivant l’idée abstraite du droit sans tenir compte du droit historique et du sentiment national, il irritait ceux qu’il croyait servir. La Hongrie, dans le système de Joseph II, devenait plus libre et plus heureuse à la condition de ne plus être la Hongrie. On ne voulut point de cette liberté, qui coûtait si cher ; on se révolta contre ce bienfaiteur qui détruisait le Magyar pour affranchir le citoyen. Après lui, Léopold ne put apaiser la colère des Hongrois qu’en abolissant toutes les lois, même les plus sages, imposées par le réformateur despotique, et l’acte par lequel il le condamnait ainsi était rédigé en hongrois, c’est-à-dire dans la langue même que Joseph II avait voulu proscrire. On montre encore à Bude ce trophée de 1791, témoignage de la victoire remportée par le vieux magyarisme sur l’esprit moderne, je dis l’esprit moderne mal compris et appliqué à faux. Cette rectification est indispensable. Étaient-ce donc les principes du XVIIIe siècle qu’avaient repoussés les Magyars en résistant aux innovations de Joseph II ? Non certes. L’année même où ils arrachaient à Léopold ce désaveu dont je viens de parler, les principaux membres de la diète de Pesth préparaient une série de projets de lois manifestement inspirés par notre XVIIIe siècle et les grandes scènes de la révolution. L’esprit de liberté, d’humanité, l’abolition des vieilles entraves, un viril appel aux forces du pays, voilà ce que les législateurs hongrois de 1791 voulaient associer au respect de leurs traditions. Il faut bien reconnaître pourtant que cette généreuse entreprise s’évanouit sans laisser de tracés. Les guerres européennes rejetèrent bientôt les esprits dans un autre courant d’idées. Les projets des députés de 1791 n’étaient connus que des érudits, la nation les ignorait. A vrai dire, les principes de la société moderne, jusque vers 1825, n’apparaissaient aux Hongrois que sous la forme pédantesque et odieuse des décrets de Joseph II. Il fallait le prestige d’un Széchenyi pour triompher de ces souvenirs. Joseph II avait imposé le progrès au nom d’une centralisation où disparaissait la Hongrie ; Széchenyi, en travaillant à détruire la Hongrie féodale, jetait les bases d’une Hongrie bien autrement forte et prospère.

C’était là précisément ce qui inquiétait le gouvernement autrichien. Le prince de Metternich n’était pas fâché de voir diminuer le rôle d’une aristocratie féodale qui, même en servant la maison de Habsbourg, opposait à ses empiétemens une résistance inflexible ; mais cette Hongrie nouvelle, une fois pénétrée de l’esprit qui