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lendemain, par la vertu de la foi patriotique, on peut transformer une nation agricole en une nation industrielle[1]. Sur ce terrain de l’économie politique, malgré sa prestigieuse éloquence, il n’était pas de force à lutter contre la science précise d’un Széchenyi. Il vit le danger, et dès l’ouverture de la diète il chercha son refuge dans des questions d’un autre ordre. Széchenyi, aussi bien que son rival, espérait que la Hongrie saurait un jour se gouverner elle-même, qu’elle aurait son administration distincte, qu’elle amènerait l’empereur d’Autriche à être le roi constitutionnel des Magyars, qu’entre ce roi et la nation il y aurait un ministère responsable, un ministère chargé, par le pays des affaires du pays et toujours prêt à rendre ses comptes. Seulement, on l’a vu déjà par les détails qui précèdent, Széchenyi, voulant que la Hongrie fût plus forte avant d’affronter ces épreuves, demandait que la réforme sociale préparât la réforme politique ; Kossuth au contraire, indigné de cette prudence, invoquait le droit éternel, sans souci de la réalité. Ce grand débat, si souvent renouvelé, allait reparaître à la diète de Presbourg comme dans une bataille suprême, quand tout à coup les événemens extérieurs prévinrent les deux champions et donnèrent la victoire à Kossuth. La révolution du 24 février 1848 avait eu son contre-coup à Vienne le 13 mars ; trois jours après, un comité de salut public s’établissait à Pesth, espèce de pouvoir révolutionnaire chargé de surveiller le palatin, la diète, et de diriger les événemens. Le seul moyen pour le gouvernement et pour la diète de reprendre la direction des affaires, c’était d’instituer au plus tôt un ministère responsable. Le 23 mars, le comte Louis Batthyany était nommé président d’un cabinet où Széchenyi allait siéger à côté de Kossuth !

Singulier assemblage de noms ! dramatique sujet de rapprochemens, si l’on songe à tout ce qui a suivi ! Le comte Louis Batthyany ; celui-là même qui devait être fusillé par ordre de Windischgraetz, était alors invoqué comme un sauveur par l’archiduc Etienne, palatin du royaume. Président sans portefeuille, il dominait les élémens disparates du conseil, et représentait en face de la révolution le système si longtemps prêché par Széchenyi, l’union de la Hongrie et de l’Autriche, renouvelée au profit de l’intérêt commun.

  1. Un des membres les plus éclairés du parti qui voulait la séparation absolue de la Hongrie et de l’Autriche, M. Daniel Iranyi, dans sa loyale Histoire de la révolution de Hongrie, n’a pas cherché à dissimuler ces erreurs de Kossuth. « L’affaire dit-il, considérée au point de vue commercial, était une affaire manquée. Les manufacturiers de Hongrie restaient notablement inférieurs à ceux des contrées voisines, n’ayant encore que fort peu d’expérience industrielle ; de plus les capitaux, le matériel, les ouvriers, habiles, tout leur manquait à la fois. » Histoire politique de la révolution de Hongrie, Paris 1859 ; t. Ier, p. 62.