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grande valeur, si on en juge par quelques publications de la presse anglo -indienne.

Voilà en résumé quelle était à la fin de l’année 1866 la situation politique et morale de ce grand pays afghan, que les Anglais se sont accoutumés avec raison à regarder comme la porte de l’Inde. Tous les liens de gouvernement relâchés, toute prospérité publique tarie par une guerre civile sauvage et prolongée, les grandes puissances limitrophes profitant de l’acharnement des combattans pour glisser une main intéressée dans les affaires du pays, les classes laborieuses et paisibles tentées à force de souffrances de faire fléchir le sentiment national devant le besoin impérieux de paix et d’ordre, ces bienfaits dussent-ils venir de l’étranger : c’était, quand nous l’avons vu, un spectacle affligeant, que les événemens postérieurs n’ont dû qu’assombrir encore. Il n’est pas sans intérêt maintenant de savoir comment l’opinion publique dans l’Inde appréciait cette situation, les circonstances qui l’avaient créée et les devoirs qu’elle pouvait imposer au gouvernement dans l’hypothèse d’un danger plus ou moins éloigné pour les possessions de la reine.


I

Durant le cours de l’été dernier, quand on reçut dans l’Inde la nouvelle de la bataille d’Irdjar, gagnée par les Russes le 20 mai 1866 sur l’émir de Bokhara, et l’annonce prématurée de la conquête de Samarkande, le sentiment général se traduisit à peu près ainsi : « nous n’avons pas à nous préoccuper de la chute possible de Bokhara, ni même de Kaboul, ni de l’établissement de la Russie à nos portes ; voisins pour voisins, nous devons plutôt souhaiter d’avoir sur notre frontière un état régulier avec lequel on pourra traiter que vingt tribus barbares, turbulentes et perfides qui nous obligeront à faire chaque année des expéditions ruineuses pour repousser ou châtier leurs incursions. » Une autre opinion, d’un caractère tout pratique, se faisait jour dans le Lahore Chronicle. « Il n’est mal qui ne serve à bien. La chute de Bokhara convaincra enfin nos administrateurs de la nécessité de construire le chemin de fer de Peshawer. » C’était entrer nettement dans le vif de la question, comme on va le comprendre, si l’on veut bien nous suivre dans une explication nécessaire pour l’intelligence de la situation.

L’Angleterre, en annexant par nécessité l’héritage de Rundjet-Sing à son territoire indien, a, naturellement accepté les charges de cette succession, grosse d’embarras. Rundjet-Sing avait conquis les