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districts afghans orientaux sans trop de difficulté, grâce à l’excellente armée que lui avaient créée MM. Allard, Court, Ventura et Avitabile ; mais la bravoure fougueuse et désordonnée des Afghans, incapable de résister en plaine à la discipline sikhe, reprenait ses avantages dans les montagnes, que Rundjet ne put jamais soumettre. Il est vrai qu’il y tenait peu. Les montagnards, aussi pauvres que pillards, ne pouvaient présenter que des non-valeurs en fait d’impôt, et l’on sait que l’impôt est la première, presque la seule sollicitude d’un état oriental. Ils rançonnaient les caravanes qui passaient dans leurs défilés ; c’était là pour eux, selon les idées asiatiques, un droit aussi sacré que le droit de bris chez nos barons du moyen âge. En leur passant beaucoup de méfaits et quelques incursions contre les paisibles ryots de la plaine[1], un gouvernement barbare pouvait s’entendre avec eux ; mais le gouvernement régulier et civilisé des Anglais ne pouvait pas avoir la même tolérance, et de là devait résulter un état permanent de guerre fort préjudiciable au budget anglo-indien.

Si l’on jette les yeux sur la carte de l’Inde occidentale, on verra que le territoire anglais derrière l’Indus est strictement limité à la plaine d’alluvion qui forme entre le fleuve et la montagne une lisière de largeur variable, atteignant parfois 40 milles de profondeur et disparaissant complètement aux coudes d’Attok et de Nilab. — En amont d’Attok, le confluent du fleuve de Kaboul avec l’Indus change cette lisière en un vaste cirque qui répond à la Cophène des anciens et que commande l’importante ville de Peshawer. Toutes ces plaines sont dominées par une ceinture de montagnes ardues, nues et rugueuses, d’une hauteur qui atteint souvent 11,347 pieds anglais. Celles de la Cophène forment un arc extrêmement tendu, dont l’une des pointes se dresse en face d’Attok, tandis que l’autre vient s’appuyer sur l’Indus. Cette dernière porte le nom de Mahaban ; c’est, dit-on, l’antique Aornos pris par Alexandre. Au-dessus du Mahaban, la vallée de l’Indus n’est plus qu’une gorge d’une magnificence sauvage, et la frontière anglaise s’écarte du fleuve pour aller rejoindre à traversées forêts épaisses du Hazara le territoire du Cachemir, ce splendide jardin perdu dans les neiges de l’Himalaya.

Les montagnes que j’ai indiquées sont le repaire de tribus de sang afghan chez lesquelles la vie sauvage a modifié le type régulier, classiquement correct de la race. On en compte une vingtaine, dont les principales sont les Waziris, les Afridis, les Momand, les Swatis. Elles n’ont jamais, comme on l’a dit, reconnu l’autorité d’aucun

  1. On prononce raïot. C’est un mot persan qui dérive du mot turc raia, et qui signifie laboureur.