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de Djellalabad, s’y établissant fortement et prenant ainsi à revers toutes ces tribus des Afridis, Momand, Khaïberis, Khattak, qui seraient alors enclavées dans le territoire anglais au lieu d’y confiner comme aujourd’hui.

L’occupation de Djellalabad serait une mesure radicale et vigoureuse, et le gouvernement actuel de l’Inde ne semble pas pencher vers les mesures de ce genre, surtout depuis la malheureuse campagne du Boutan. Il serait pourtant facile de prouver que cet effort n’exigerait pas une dépense d’hommes et d’argent bien supérieure à celle de l’expédition d’Umbeyla, qu’il faudra recommencer tous les huit ou dix ans, si l’on ne prend un parti plus décisif. La difficulté ne résiderait pas dans l’invasion même, qui ne serait guère qu’une brillante promenade militaire comme le passage du Khaïber par la division Pollock il y a vingt-cinq ans : elle serait dans l’occupation et l’organisation du pays à annexer. Il y aurait à se créer des sympathies, des intérêts plus ou moins légitimes à ménager, des résistances à dompter. On peut prévoir que le souverain de Kaboul, que ce soit Chir-Ali ou bien son frère, aura dans son palais et dans le cercle immédiat de sa puissance des embarras assez multipliés pour lui ôter la tentation de se heurter à ses puissans voisins. Il serait d’ailleurs facile de s’assurer de sa neutralité par quelques bons offices, soit un subside, soit quelques munitions de guerre offertes en temps opportun. Il faudrait surtout être attentif à ne pas trop froisser l’aristocratie indigène, tous ces barons féodaux fièrement campés dans leurs tours délabrées au tournant de chaque défilé. Ils représentent le seul élément redoutable et vivace de la société afghane, militaire et féodale avant tout : qui dispose d’eux dispose en même temps de leurs vassaux et de leurs sujets, car dans ce monde-là le plébéien est beaucoup plus fier des distinctions accordées à son khan ou à son émir qu’il ne serait reconnaissant d’un bienfait personnel. Accoutumé depuis des siècles à voir dans le gouvernement central un ennemi et un persécuteur, il est peu exigeant envers le nouveau maître que le sort lui donne et qu’il subit avec une résignation complète mêlée d’un peu d’anxiété. S’il est moins opprimé qu’au temps passé, il saisit très vite la différence et bénit Allah ; s’il est oublié, sa joie ne connaît pas de borgnes ; s’il est secouru (par des institutions charitables, des subsides en temps de famine, des services médicaux en temps d’épidémie), il n’y comprend plus rien, et, quoique trop ignorant pour apprécier le côté élevé de la philanthropie européenne, il ne cherche pourtant point à se soustraire à l’admiration profonde et confuse à la fois qu’elle lui inspire. En somme, l’organisation stable et forte des nouvelles provinces annexées n’offrirait aucune difficulté sérieuse