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solides, commandées par des officiers à la hauteur de toutes les difficultés, mais d’abord il y a dans cette hypothèse un terme impossible à accepter, c’est l’Afghanistan devenant en quelques années une province russe. Les Afghans sont le seul peuple du continent asiatique qu’on puisse appeler une nation, c’est la seule race que j’aie franchement estimée dans mes pérégrinations en Asie centrale. Nobles, braves, fiers, ils rachètent par la virilité de leur nature les rudesses et la sauvagerie qui en sont l’excès. Pour eux, le mot patrie a un sens, ce qui est rare en Orient. Mal armés et peu disciplinés, ils sont faciles à vaincre, et la conquête de leurs cités ne serait qu’une promenade militaire ; mais la difficulté serait de garder ce qu’on aurait pris : les Anglais l’ont bien éprouvé il y a vingt-cinq ans. Leurs fautes et leurs désastres doivent servir d’exemple à quiconque voudrait, de gaîté de cœur, s’aller heurter à cette nouvelle Circassie. Cette opinion n’est pas, comme on pourrait le supposer, en contradiction avec ce qui a été dit plus haut de la facilité qu’auraient les Anglais à occuper Djellalabad, province sacrifiée de l’empire, de Kaboul, lassé de la guerre civile, dont elle souffre dans son commerce et son industrie, et qui a gardé un bon souvenir de l’occupation de 1840 ; mais Djellalabad n’est pas Kaboul, Ghizni ou Kandahar.

Il est juste d’ajouter que l’Afghanistan n’est pas le seul pays dont l’Angleterre ait à surveiller l’attitude de ce côté ; il faut encore qu’elle ne perde pas de vue un état dont le nom ne rappelle généralement que des souvenirs fort étrangers à la politique, je veux parler du Cachemir. La vallée de ce nom, chantée en si beaux vers par l’auteur de Lalla Roukh, est le centre autour duquel s’est formée depuis trente ans une principauté aussi vaste que l’Espagne et d’autant plus puissante qu’elle est adossée à l’Hindou-Koh et à l’Himalaya. Ces pays, conquis jadis par Rundjet-Sing, furent donnés en fief par la compagnie à un certain Goulab-Sing, prince montagnard qui avait eu l’habileté de se rallier aux Anglais victorieux, et qui les a transmis à son fils Rambir-Sing, maharadja actuel de Cachemir. Sa dépendance à l’égard des maîtres de l’Inde est toute nominale, car il a les droits d’un roi autonome, même celui d’écarter de ses états par des tarifs douaniers oppressifs et appliqués avec une rigueur excessive le commercé anglo-indien, y compris le commerce, de transit avec le Turkestan et le Thibet. Véritabe prince asiatique, élégant, dépravé, cupide, Rambir gouverne ce riche territoire comme jamais, Tibère n’osa gouverner son empire, et il a une haine sournoise et violente pour ses suzerains, dont le gouvernement bienfaisant est la satire en action la plus éloquente du despotisme rapace du maharadja. L’Angleterre n’a