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géographes dans les frontières de la Chine, le Thibet, la Corée, quelques provinces de l’ouest, reconnaissent à peine la suzeraineté de l’empereur et dirigent à leur gré au moins leur administration intérieure. Les injonctions émanées de la cour de Pékin auraient peu de chances d’y être accueillies, et les traités qui lient la Chine envers les puissances étrangères n’y sont guère reconnus.

Quant aux provinces de la Chine proprement dite, c’est en examinant l’organisation administrative de l’empire et l’état de la société chinoise qu’on trouvera peut-être les causes de leur abstention. Malgré une apparence d’organisation municipale, il n’existe en ces pays ni contrôle de la nation résistant légalement par l’organe de ses mandataires à l’arbitraire du souverain, ni aristocratie héréditaire dont l’indépendance, basée sur la propriété, fasse contrepoids au pouvoir monarchique. Le recueil des lois chinoises, vaste compilation dont un exemplaire se trouve à l’exposition, fournirait, s’il était mieux connu, de précieuses indications sur l’organisation du pouvoir. Il semble toutefois certain que l’empereur concentre en sa personne et sans partage toute l’autorité ; mais cette puissance immense dont le monarque est investi, il ne saurait l’appliquer lui-même à tous les détails de l’administration. Il en délègue l’exercice à des fonctionnaires, mandarins nommés à la suite d’examens plus ou moins sérieux, échelonnés en neuf classes, et qu’il reste toujours maître de révoquer.

Dépendans du caprice, ceux-ci obéissent à un esprit de corps d’autant plus puissant qu’il est né de l’intérêt commun. Ils forment un faisceau dont la résistance passive suffit pour empêcher, par la seule force d’inertie, l’exécution des volontés du souverain. L’empereur, qui ne sait rien que par eux, ignore le plus souvent leur désobéissance. La nation est muette, la presse n’existe pas, le tribunal des censeurs, composé lui-même de fonctionnaires dépendans du palais, ménage des collègues dont le rapprochent ses intérêts et son origine. Dans une sphère plus ou moins étroite, chaque mandarin peut se permettre tels actes d’arbitraire que son supérieur, coupable au même chef, s’avise rarement de blâmer. Il a pour auxiliaire, le plus complet système de réglementation qui existe. À chaque pas, l’indépendance individuelle se heurte à une loi, à une ordonnance qui autorise l’ingérence du fonctionnaire. Ainsi se trouve étouffé l’esprit d’initiative et de progrès. Le respect dû à la mémoire des morts s’est même traduit en une obéissance servile aux vieilles coutumes, aux vieux usages, à la routine. On en a fait une religion que les lois commandent, et contre laquelle le peuple ne proteste plus. Ainsi discipliné, le Chinois ne s’est plus soucié des races étrangères. L’idée, devenue religion, que ses ancêtres avaient