Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 70.djvu/765

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

singuliers que son ouvrage intitulé la liaison et le Christianisme. Ce sont douze lectures sur l’existence de Dieu, dont six sont consciencieusement employées à ruiner tous les moyens par lesquels la pure raison a tenté de la fonder ou de la concevoir, Avec beaucoup d’esprit, avec une verve piquante qui paraîtra peut-être trop épigrammatique pour la gravité du sujet, le pieux auteur s’attache à prouver que le théisme est d’une inconcevable platitude, et il accumule contre l’idée qui en est le fondement toutes les objections que le sens commun, c’est-à-dire l’esprit volontairement réduit au savoir donné par l’expérience externe, a pu élever contre ses facultés les plus hautes. Il n’échappe pas à la sorte de fatalité qui semble poursuivre la plupart des apologistes des religions surnaturelles ; il montre pour le scepticisme une indulgence qui énerve ou intimide toute philosophie. Puis après avoir plutôt exagéré la force des objections contre le théisme, il l’affaiblit plutôt lorsqu’il les retrouve tournées contre le christianisme. Il s’accommode des cercles vicieux où s’enferment trop souvent les défenseurs de sa cause. Ainsi il croit résoudre la question du mal moral par le péché originel, ce qui se réduit à expliquer le péché par le péché et l’existence du mal par l’existence du mal. Enfin, quand il lui faut définitivement concilier les dogmes révélés avec les argumens qu’il a dirigés contre les dogmes rationnels, il ne s’en tire qu’en altérant les premiers, par exemple en hasardant sur la divinité du Christ une doctrine peu compatible avec aucune orthodoxie, ou en justifiant la théorie du péché originel par une hypothèse qui implique la métempsycose et réduit à une illusion passagère le sentiment de la personnalité humaine. L’esprit, la franchise, la hardiesse, distinguent tout ce qu’écrit M. Secretan ; mais il étonne, il trouble, en même temps qu’il intéresse par une continuelle disparate entre le parti-pris des conclusions et la liberté presque illimitée de l’argumentation. Rarement une forte conviction en faveur de la cause s’est montrée plus indifférente aux dangers du plaidoyer. Je crains qu’un fonds de scepticisme ne soit le faible secret de cette haute intelligence. Dans ce cas, il n’y a plus qu’un recours pour qui ne veut pas de l’empirisme : c’est la foi qui sauve.


IV

Leibniz a montré que les intérêts de la religion révélée ne sont pas indépendans du sort de la religion naturelle. Le fidéisme et le traditionalisme qui méprisent ses conseils pourraient bien être de grandes imprudences. Les écoles cléricales qui anathématisent Lamennais et qui l’imitent encore viennent en aide à ces beaux esprits laïques qui renvoient à la rhétorique ou à la poésie jusqu’au