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fédéraliste y subsiste sous le nom pédant de particularismus. Il représente non-seulement des idées et des traditions, mais surtout des intérêts puissans et variés : c’est, outre l’indépendance, la vie locale et la conservation de ces nombreux petits centres à la fois d’intelligence et d’affaires qui ont si grandement contribué aux progrès de l’Allemagne. Il subsiste même en Prusse, car un Rhénan, un Westphalien, n’ont de Prussien que le nom et l’uniforme qu’ils endossent au service du roi Guillaume. Ils sont à la fois très particularistes et très Allemands, et quoique l’administration prussienne, au mépris de tous les dogmes centralisateurs, les ait ménagés jusqu’à leur laisser les lois qu’ils tenaient de la France, ils s’obstinent à ne voir dans sa domination qu’une transition désagréable, et à attendre le moment où le nom de Prussien disparaîtra devant celui d’Allemand.

Nos relations futures avec le plus puissant des peuples voisins de la France dépendent de la manière dont sera résolue cette question entre la Prusse et l’Allemagne. L’Allemagne absorbant la Prusse, c’est le centre de l’Europe occupé par une nation que ses intérêts, ses habitudes et ses idées porteront naturellement vers la pratique des institutions libérales, qui nous en donnera peut-être l’exemple, et qui certainement nous suivra avec passion dans cette voie, si nous sommes assez heureux pour l’y précéder ; c’est un corps social possédant tous les élémens nécessaires pour faire un peuple libre et composé d’intérêts trop divers pour être jamais agressif, une nation probablement plus militaire et moins belliqueuse que nous. Sa prospérité intérieure développée, sa légitime influence reconnue à l’extérieur, peuvent devenir avec le temps un gage de paix pour l’avenir. Je crois qu’il nous faudra les accepter de bonne grâce quand même nous regretterions un peu l’ancien morcellement de l’Allemagne. En tout cas, nous devons préférer cette combinaison au partage pur et simple de l’Allemagne entre la Prusse et l’Autriche, partage qui aurait mis sur nos frontières deux puissances toujours prêtes à nous compromettre dans leurs luttes pour nous abandonner aussitôt et finir par s’unir contre nous de peur de paraître chacune moins allemande que sa rivale.

La Prusse absorbant l’Allemagne, c’est au contraire le césarisme établi dans toute l’Europe centrale. Le poids même de ce régime, ce qu’il a de contraire aux mœurs allemandes, les nombreux intérêts qu’il froissera, la nécessité d’endormir les vraies aspirations libérales en flattant les exagérations de l’amour-propre national, tout l’obligera à suivre vis-à-vis de l’étranger une politique inquiète, menaçante et agressive. Ce sera tout à la fois un danger permanent pour la paix de l’Europe et un rude échec pour la cause libérale.

Dans quel sens cette question sera-t-elle résolue ? Sans prétendre deviner la solution future, l’on peut en indiquer les divers élémens. Le système prussien a pour lui le prestige du succès, le droit de la victoire, la confiance dans l’avenir et l’extrême division de tous les élémens qui lui sont opposés. Le triomphe de M. de Bismark a désorganisé les partis