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yeux pers, pétillans de feu et de malice, il joignait à la brusquerie du ton et des manières une délicatesse de sentimens que n’annonçait pas son visage. S’il détestait cordialement ses ennemis et les traitait de Turc à More, en revanche il était d’une fidélité à toute épreuve dans ses attachemens ; en toute rencontre, on pouvait compter sur lui, et il n’attendait pas qu’on réclamât ses services. Il devinait, prévenait les désirs, et il avait en matière de dévouement une foule de petites inventions dont le vulgaire des amis ne s’avise pas ; mais il ne fallait pas le remercier, il avait la reconnaissance en horreur et la rembarrait sans miséricorde. Il prétendait qu’après tout il ne se souciait de personne, qu’il cherchait seulement à se faire plaisir, que s’il se jetait à l’eau pour sauver un ami, c’est qu’il aimait l’eau froide et n’était pas fâché de montrer qu’il savait nager. Peut-être disait-il vrai ; mais l’égoïsme n’est pas toujours aussi bienfaisant.

M. Patru avait été lié dès son enfance avec M. de Peyrols ; il avait tenu Didier sur ses genoux et le savait par cœur. Il avait dit plus d’une fois à M. de Peyrols : — Vous vous y prenez mal avec votre fils, vous pourriez le raisonner pendant vingt ans sans rien gagner sur lui. Il a son idée, sa marotte, sa maladie : il est né avec le mépris du succès ; c’est un cas rare, et qui, vous l’avouerai-je? me semble intéressant. Si vous en jugez autrement et que vous ayez juré de convertir votre fils à vos principes, laissez les longs discours et représentez-lui seulement que, s’il veut vous plaire, il faut qu’il se décide à faire quelque chose, que votre bonheur est à ce prix. Avec ce seul mot, vous le ferez aller au bout du monde. — Mais M. de Peyrols répugnait à employer les raisons de sentiment ; il s’était mis en tête de convaincre Didier, et jusqu’à sa mort il s’était piqué d’y réussir.

À son retour de Berlin, Didier trouva M. Patru qui l’attendait devant l’hôtel du Louvre, sur la place où s’arrêtent les messageries, et ce fut de lui qu’il apprit la perte qu’il venait de faire. Le digne homme le laissa pendant quelques jours à son deuil, puis il fut le trouver et lui dit : — Mon cher ami, vous regrettez sincèrement votre père, et vous avez raison ; mais la plus grande marque de respect que vous puissiez donner à sa mémoire, c’est de veiller à ce que sa fortune ne périclite pas entre vos mains. Vous lui devez bien cela ; représentez-vous qu’il est encore vivant et soignez ses intérêts comme il le faisait lui-même. Pour cet effet, vous avez bien des connaissances à acquérir ; prenez votre courage à deux mains, jetez-vous à corps perdu dans les paperasses. Ce sera vous occuper de votre père que de chercher à vous reconnaître dans ses affaires et dans les vôtres. — Didier se rendit à ces raisons. Un livre