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de comptes, un mémoire d’avoué, avaient toujours été pour lui des objets effrayans. Les chiffres ne lui déplaisaient pas trop dans un ouvrage d’astronomie ; mais un calcul d’intérêts composés l’avait toujours fait frissonner : il n’aimait que le chiffre désintéressé. Il ne laissa pas de se livrer aux arides études que lui recommandait l’ami de son père. M. Patru avait toujours été dans la confidence des spéculations et des placemens de M. de Peyrols ; il aurait pu mettre Didier au fait en quelques jours, il n’eut garde. Il se contenta de lui donner quelques directions générales et le laissa se débrouiller par lui-même. Seulement de temps à autre ils tenaient ensemble des conférences où le jeune homme lui rendait compte de son travail et lui demandait l’éclaircissement de quelque difficulté. Dans ces entretiens, notre mélancolique étonnait le notaire par la netteté de ses idées, par la lucidité de son esprit. En quelques semaines, il était parvenu à posséder des sujets auxquels il n’avait pensé de sa vie ; mais Dieu sait combien ces couleuvres lui étaient dures à avaler! Les heures qu’il passait dans l’étude de M. Patru lui pesaient comme du plomb ; il regardait tour à tour d’un œil morne les murs et le plafond, ou contemplait fixement de vieilles toiles d’araignées auxquelles pendait une mouche morte* Dès que la séance était levée, c’était d’un air de délivrance qu’il gagnait la porte et se dirigeait à grands pas vers quelque réduit solitaire où il avait pris rendez-vous avec sa paresse.

Nyons est situé dans l’un des plus jolis pays du monde. Assise au pied d’un rocher au bord de l’Aygues, cette petite ville se trouve placée à l’issue d’un étroit défilé où s’enfonce la grande route de Gap et à l’entrée d’un riant vallon qui, s’évasant par degrés, va se réunir au loin à la grande vallée du Rhône. Favorisé d’un ciel clément et presque toujours pur, arrosé d’eaux courantes, ce petit coin de terre est d’une fertilité merveilleuse, et peu s’en faut qu’il n’y règne un éternel printemps. Des coteaux l’abritent contre les vents du nord ; le mistral a beau déchaîner ses fureurs sur le plateau de Valréas, c’est à peine s’il se fait sentir aux habitans de Nyons par quelques rares bouffées qui leur font pousser de hauts cris. En été, .les chaleurs sont tempérées par une brise locale vraiment singulière qui semble sortir des fissures d’un rocher ; ce vent frais et caressant, tout à fait semblable à une brise marine, a reçu le nom de vent Pontias, et croyez que les Nyonçais sont aussi fiers de leur Pontias que les Marseillais peuvent l’être de leurs quatre ports et de leur Cannebière. Par les accidens du sol, par la richesse de la végétation, par l’abondance des eaux, cet heureux pays ressemble au Dauphiné et à la Suisse ; mais il est éclairé et réchauffé par un autre soleil, et les cultures s’en ressentent. Elles