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de la mainmorte ecclésiastique, ou d’un arrangement illusoire au moyen duquel le clergé aurait acheté, pour 600 millions payés à l’état, la conservation du reste de ses propriétés. M. Rattazzi définit mieux aujourd’hui sa politique. Il sépare la question ecclésiastique de la question de finance. Il ne veut plus du clergé propriétaire foncier, et il investit l’état de ses biens. On fera avec le domaine ecclésiastique de l’argent quand on pourra. La bénignité optimiste de M. Rattazzi dans ses prévisions financières est adorable. Il ne veut pas se presser d’augmenter les impôts ; il préfère essayer d’abord l’efficacité de l’économie. On fera rentrer les taxes dues par les contribuables en retard, on réduira les dépenses, et on ne sera plus en présence, au bout de l’an, que d’un déficit de deux cents et quelques millions. Outre cette perspective d’un déficit annuel de plus de 200 millions, il y a les découverts antérieurs accumulés qui se monteront à 700 millions à la fin de 1868. On y fera face par un emprunt de 400 millions d’une forme nouvelle. Cet emprunt sera émis non en rentes, mais en obligations qui rapporteront aussi 5 pour 100 sur le pair nominal, et seront remboursées avec le produit des ventes de biens ecclésiastiques. Le premier ministre italien ne semble point avoir confiance dans le succès d’un tel emprunt, s’il était offert sur les marchés étrangers ; il paraît en vouloir conserver le privilège à ses compatriotes. Ainsi nanti d’un emprunt de 400 millions à placer en Italie sous une forme insolite, d’un découvert actuel qui dépasse cette somme, d’un déficit annuel de 200 millions, M. Rattazzi cingle avec une sérénité inaltérable vers l’avenir où ses nouveaux amis de la gauche veulent conquérir Rome par l’insurrection intérieure, et où il se propose de l’obtenir lui-même par les moyens moraux. Et aucun nuage ne viendra traverser cette béatitude : l’Italie continuera de payer les coupons de ses rentes ; on ne frappera ces rentes d’aucune taxe, on ne leur fera subir aucune réduction. Si M. Rattazzi, dont la placidité désarme la critique, réalise son programme, il surpassera les hommes d’état financiers les plus réputés de ce siècle. Que seront auprès de lui les Robert Peel et les Gladstone ?

Un grand empire auquel l’Italie n’a plus rien à envier, l’Autriche, ne présente pas un aspect politique et financier moins inquiétant. Pour se remettre sur pied, c’est le témoignage des esprits sages qui l’observent de près, il faudrait à l’Autriche au moins dix ans de paix et de bon gouvernement. Pour le moment, les races dont elle est composée, et qui forment dans quelques-unes de ses provinces un assemblage d’élémens si hétérogènes, sont trop rapprochées encore des effets du mauvais gouvernement et des malheurs politiques pour oublier leurs haines traditionnelles et leurs vieux antagonismes. L’Autriche, après les malheurs qu’elle a subis, mérite les sympathies françaises, qui vont au-devant d’elle ; mais il ne faut point nourrir d’illusions sur l’efficacité de son alliance dans les conflits européens qui pourraient éclater. Les belliqueux de chez nous qui voudraient entraîner l’Autriche à notre suite dans une lutte