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volonté. Voilà donc une seconde de perdue. Que se passe-t-il alors ? quel est le temps que prend la réflexion ? Cela dépend des circonstances ; mais il est certain que la volonté a besoin, pour se décider, d’un temps mesurable. Alors elle agit : l’ordre de faire chavirer la barque est expédié à la queue. Il se passe encore une seconde avant que ce message parvienne à destination ; total : deux secondes, pendant lesquelles l’embarcation et les matelots ont pu gagner le large à grand renfort de rames.

Comment, nous dira-t-on, les savans ont-ils pu mesurer cette vitesse de propagation de l’excitation nerveuse ? On a imaginé pour cela plusieurs méthodes. Un médecin du moyen âge cité par Haller avait déjà songé à ce problème. Il admit, — conception bizarre, — que la vitesse du fluide nerveux pouvait se déduire de celle du sang dans l’aorte ; selon lui, les deux vitesses devaient être, dans le rapport inverse des largeurs de l’aorte et des tubes nerveux. Ce calcul donna, pour la vitesse du fluide des nerfs, environ deux cents millions de kilomètres : six cents fois la vitesse avec laquelle se meut la lumière.

Haller s’y prit lui-même autrement. Lisant tout haut l’Énéide, il compta le nombre de lettres qu’il pouvait prononcer, en parlant très vite, dans l’espace d’une minute. Il trouva quinze cents comme limite extrême : un 1500e de minute pour chaque lettre. Or la lettre r exige, d’après Haller, dix contractions successives du muscle qui fait vibrer la langue, et on peut en conclure, dit-il, qu’en une minute ce muscle peut se contracter et se relâcher quinze mille fois, ce qui représente trente mille mouvemens simples. Du cerveau au muscle dont il s’agit ici, la distance est de 1 décimètre. Si l’agent nerveux la parcourt trente mille fois, cela fait 3 kilomètres, et 3 kilomètres à la minute représentent une vitesse de 50 mètres par seconde. Ce raisonnement n’est qu’une suite d’erreurs ; on peut d’autant plus s’étonner de l’approximation avec laquelle Haller a obtenu une donnée que son procédé n’était point propre à faire connaître. L’Enéide, qui passait autrefois pour un livre d’oracles, a cette fois justifié sa réputation.

Ce n’est, qu’en 1850 que ces recherches ont été reprises par une voie nouvelle qui devait conduire à la solution du problème. On la doit à M. Helmholtz, le plus célèbre des physiologistes allemands, qui joint à un rare talent d’observateur le profond savoir d’un mathématicien consommé. Sa première méthode est basée sur l’emploi du chronoscope de M. Pouillet. Un courant galvanique de très courte durée agit à distance sur une aiguille aimantée, il l’écarte de sa position primitive ; on mesure la grandeur de la déviation, et l’on en déduit par le calcul la durée du courant. On a ainsi le moyen de mesurer des intervalles de temps qui ne dépassent pas quelques millièmes de seconde. Voici comment M. Helmholtz a appliqué cette méthode. L’un des muscles de la jambe d’une grenouille est fixé par une extrémité dans une pince et attaché par l’autre extrémité à un petit levier qui fait partie d’un circuit