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après l’affaire d’Harpalos, pour y remonter aussitôt après la mort d’Alexandre. C’est Démosthènes lui-même qui nous indique ce point de vue et qui nous met sur la trace de ce rapprochement par plus d’un passage du Discours de la couronne, où il défend, comme dirait un ministre anglais, son administration. » L’influence prise par ces hommes expérimentés sur leurs concitoyens, ils la gardaient souvent toute leur vie ; elle était une des seules choses durables dans ce pays où tout changeait si vite ; elle corrigeait les inconvéniens que pouvait avoir le renouvellement annuel de toutes les fonctions publiques et les erreurs du sort dans la nomination des magistrats.

Je ne puis suivre M. Perrot dans tous les détails qu’il nous donne sur les sources du droit et l’organisation judiciaire chez les Athéniens. Cette partie est pourtant la plus nouvelle, et la plus savante de son livre, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit la moins intéressante : l’érudition de M. Perrot a ce mérite rare d’être aussi vivante que solide. C’est qu’il parle de choses qui lui plaisent. Il aime les Athéniens ; cet état social qu’on a tant maltraité l’attire, il ne s’en cache pas. Il y a sans doute des sociétés plus régulières, plus décentes, mieux alignées, et qui de loin séduisent le regard ; M. Perrot préfère celles où l’individu est plus laissé à lui-même et moins garrotté de précautions et de prescriptions, où il marche avec plus d’indépendance, sans se heurter à chaque instant au pouvoir. Aussi nous a-t-il donné du gouvernement athénien un tableau animé et qui nous met en présence de la réalité. Étudier l’histoire du passé comme vient de le faire M. Perrot est le seul moyen de la rendre non-seulement agréable, mais utile. Malheureusement, quand nous songeons à ces gouvernemens anciens, nous les apercevons toujours comme on nous les a présentés dans notre jeunesse. Les souvenirs du bon Rollin obsèdent notre pensée ; c’est un pays de chimères que nous entrevoyons, et il nous semble toujours que nous nous promenons dans le royaume de Salente. Entre nous et ces Grecs de fantaisie, il n’y a rien de commun ; nous ne pouvons tirer aucun profit de leur exemple ; leur histoire est une curiosité pour notre imagination et non une leçon pour notre vie. Si nous voulons qu’elle nous serve, il faut lui enlever ce vernis de légende et de morale en action qu’elle a pris chez les écrivains des deus derniers siècles, il faut l’aborder avec un esprit mûri par le spectacle de nos révolutions et cette connaissance qu’elles nous ont donnée des événemens et des hommes. En la ramenant à la réalité, on s’apercevra que ce qui a été ressemble beaucoup à ce qui est, et même qu’en se tournant vers le passé, il se trouve souvent qu’on regarde l’avenir.


GASTON-BOISSIER.


L. BULOZ.