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PROSPER RANDOCE.

fermée, vous me faites part de votre conscience. Je suis votre écolier, votre pénitent. Vous critiquez mes procédés et mes vers ; vous m’élevez à la férule… Tout cela vous divertit, vous tient en haleine ; sans moi, vous crèveriez d’ennui. Souffrez qu’à mon tour je vous donne un conseil. Défiez-vous de moi. Je suis au désespoir. Quelques douceurs que vous trouviez dans ma société, faites-moi jeter à la porte par vos gens. Les demi-partis sont dangereux… Défiez-vous, je me sens capable de tout.

— Vous me connaissez bien peu, lui répondit tranquillement Didier, si vous croyez que l’insolence et les menaces puissent rien obtenir de moi.

— Si je me mettais à vos genoux, s’écria Randoce avec rage, combien de temps m’y laisseriez-vous ?

— la phrase ! la phrase ! murmura Didier. O comédien !

— Et si je vous jurais que je vous aime comme un frère, — c’est le mot que vous me demandez, — seriez-vous assez simple pour m’en croire ?

— Je suis si las, répondit-il, si mortellement las de ce qui se passe ici depuis quelques mois, qu’en vérité, oui, je ferais semblant de vous croire, et je me conduirais en conséquence.

— C’est un mensonge que vous n’obtiendrez jamais de moi. Que diable ! il y a des choses impossibles. Non, jamais vous n’aurez le bonheur de m’entendre dire : Mon bon frère, que vous êtes sublime ! La charité, s’il vous plaît !.. Vous avez lu Shakspeare, mon bon monsieur. Je vous dirai comme Orlando : — L’âme de mon père, qui est en moi, commence à se révolter contre cette servitude… J’en suis fâché, je n’ai pas un cœur de citrouille. Regardez-moi bien ; je suis debout, et je vous demande ma légitime. Oui, je ressemble à mon père, j’ai comme lui l’esprit juridique ; mais j’entends la chose mieux que lui. Le droit ! le droit ! Je ne connais que le droit naturel. Toutes vos lois humaines, je les méprise comme un vil chiffon… Moi, vous aimer ! Pourquoi ?… Parce que vous avez tout, et que je n’ai rien ? Parce que vous êtes né dans un château, et que j’ai grandi dans une soupente ?… Et lequel de nous deux méritait d’être riche ? Qui de vous ou de moi est taillé pour la jouissance, taillé pour l’action ? Que faites-vous de vos écus ? Rien. Vous dormez ; on peut dormir sur un grabat. Que faut-il à l’huître pour être heureuse ? Une écaille qui ferme. J’étais né pour tout connaître, pour tout posséder, pour tout vouloir ; j’avais toutes les curiosités, tous les appétits, le monde tout entier me battait dans le cœur ; mais la pauvreté m’a dit : Non, tu rêveras la vie, tu ne vivras pas…

— Vous avez mille fois raison, repartit Didier. Je ne sais que faire de ma fortune. Cependant la semaine dernière je me suis