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immédiats d’A. Carstens ; de l’autre, les adeptes du romantisme néo-chrétien, qui avaient à leur tête Overbeck et Schadow. Ces derniers s’étaient retirés tous ensemble dans le vieux couvent de Saint-Isidore, où ils menaient une existence quasi monacale, travaillant en cellule et apprêtant eux-mêmes leurs repas dans la cuisine du couvent. Cette vie, d’anachorète, leur allure compassée et austère, les avaient fait surnommer les Nazaréens, et tranchaient avec les habitudes dissipées d’une petite phalange mondaine qu’ils n’avaient pu gagner. Mêlant à leur dévotion pour l’art un certain fanatisme de propagande, ils travaillaient à la conversion des nouveau-venus, protestans ou juifs, et déjà racontaient sous le manteau quelques miracles. En même, temps ils s’absorbaient dans la contemplation exclusive des préraphaélites, de Giotto, de Masaccio, de Fiesole, des maîtres primitifs de Florence et de l’Ombrie. Il y avait bien du factice, du parti-pris et de l’apparat dans tout cela ; si sincère que fût peut-être leur illusion, ils ne négligeaient rien pour l’entretenir. Ce bizarre effort pour retrouver une innocence d’esprit à jamais perdue et pour rallumer en soi cette foi enfantine dont on espérait un rajeunissement de l’inspiration rappelle beaucoup trop, il faut bien le dire, le procédé de ce vieux poète dont par le Gabriel Naudé, qui, avant de faire, une description du cheval, « s’enfermoit dans sa chambre, se mettoit à quatre pattes, hennissoit, alloit l’amble, le trot, le galop, et taschoit par toute sorte de moyens à bien contrefaire le cheval. » Cornélius avait une droiture de raison qui le préserva de ces excès. Il se lia étroitement avec Overbeck, dont la douceur et l’amabilité exerçaient un attrait presque irrésistible ; ils se voyaient souvent, tous les samedis soir ils se réunissaient pour se communiquer ce qu’ils avaient fait pendant la semaine et échanger avec une franchise fraternelle leurs observations ; c’était, selon un mot qui caractérise assez bien les nuances diverses de leur caractère, l’amitié de saint Jean et de saint Paul. Toutefois Cornélius n’alla point s’enfermer à Saint-Isidore, et il se lia en même temps avec Thorwaldsen et Koch, comme s’il se fût senti destiné à servir de moyen terme entre ces directions contraires, et qu’il eût voulu tenter en lui cette réconciliation de l’antiquité et du christianisme dont la pensée apparaît dans plus d’un de ses ouvrages.

Heureuse et, trop rapide époque d’espérances enthousiastes et d’ardent labeur dont Cornélius a gardé jusqu’à la fin un souvenir plein d’émotion ! « Il serait impossible, dit-il quelque part, de tracer brièvement le cercle du développement moral qui eut lieu à Rome pendant le séjour que j’y fis : j’ose dire que l’espace de plusieurs siècles a été parcouru en peu d’années. » Le noble Niebuhr, qui arrivait à Rome vers le même temps avec le titre d’envoyé