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prussien, nous a laissé dans ses précieuses lettres l’image vivante de cette généreuse exaltation ; il pressentait aussi les écarts et les troubles qui égarèrent bientôt et finirent par briser la petite église. Il n’est frappé à son arrivée que du dévouement à l’art, du parfait désintéressement de ses compatriotes ; il croit qu’ils ouvrent pour l’Allemagne une ère nouvelle, et il réclame, hautement pour eux la protection du gouvernement prussien ; il raconte leurs lectures du soir chez Brandis ou Bunsen et décrit leurs réunions, dont la présence de l’étranger profane ou le bruit des événemens politiques ne trouble jamais le recueillement. Peu à peu cependant ce qu’il y a d’excessif et d’incommode dans leur foi religieuse, d’étroit dans leur esprit, se fait sentir à lui ; son protestantisme libéral s’offense de leur propagande indiscrète et de ce zèle auquel tout porte ombrage. Il avait distingué d’abord Cornélius, et, à mesure qu’il devient plus sévère pour les autres, il apprécie davantage cette fermeté d’esprit, cette justesse d’idées qui n’exclut pas l’audace et cette parfaite tranquillité dans une situation souvent embarrassée. « Cornélius, écrit-il, a épousé une brave femme, une Romaine, qui sera, j’espère, d’un grand secours à Marguerite. Il est pauvre, parce qu’il travaille non pour le gain, mais pour sa conscience, chose dont les marchands abusent ; si je ne puis lui donner du travail, au moins suis-je heureux de lui venir en aide quand la détresse est trop grande. » Il ne s’en fallait pas de beaucoup que Cornélius ne passât aux yeux de ses amis orthodoxes pour infecté d’hérésie. Il admirait Goethe, il lisait la Bible, il restait étranger aux puérilités et aux scrupules des néophytes. Un jour, après avoir soupé chez Bunsen, au palais Cafarelli, on était monté sur la terrasse. La nuit était splendide. Niebuhr s’avisa de proposer en plaisantant de boire au vieux Jupiter, dont la planète luisait en ce moment à l’horizon, et Cornélius avait répondu en trinquant gaîment, au grand étonnement des Nazaréens, stupéfaits d’un tel acte de paganisme. Cornélius avait fait plus encore : impatienté de cette manie de conversion dont les artistes allemands semblaient atteints en touchant le sol romain, il avait déclaré qu’au premier scandale de ce genre il se ferait protestant : simple parole arrachée au bon sens indigné, et qu’il ne faudrait pas prendre trop au sérieux. Cornélius était sincèrement catholique, il l’était au point de ne pas être exempt de toute prévention à l’égard des autres confessions, et si son œuvre n’exhale pas le parfum claustral de celle d’Overbeck, elle n’est certainement pas moins religieuse.

Échappé cependant aux influences d’une piété trop étroite, Cornélius rapporta des fruits précieux de son séjour en Italie. Il y prit conscience de lui-même et de sa vraie puissance. A part toute