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conversation. Quand la voiture eut atteint le bas de l’avenue qui conduit à la villa des Trois-Platanes, il se disposait à battre en retraite ; mais sa cousine le retint en lui disant d’un ton de gracieuse autorité : — Soyez aimable jusqu’au bout, monsieur. Vous allez nous rester à dîner. J’ai retrouvé la maison de mon pauvre père dans un état de délabrement qui me fend le cœur. J’y veux faire des réparations, et je serais bien aise de vous consulter.

Didier eût bien voulu se récuser, mais il n’osa pas. Il étouffa un bâillement et se mit aux ordres de sa cousine.

Cette villa des Trois-Platanes, que Mme  d’Azado avait héritée de son père, est célèbre à trois lieues à la ronde par la beauté rare de la terrasse qui la précède au midi. A l’entrée est un bosquet de lauriers qui atteignent jusqu’à la hauteur du toit ; vers le milieu, deux fontaines de marbre dégorgent à gros bouillons par leurs mufles moussus une eau pure comme le cristal ; elles sont ombragées de trois gigantesques platanes dont on trouverait difficilement les pareils et qui se font apercevoir de partout. Cette terrasse, que borde un mur à hauteur d’appui tapissé de vignes et de rosiers grimpans, se termine par une allée de buis en berceau qui forme un épais couvert. Derrière la maison s’étend un jardin qui rayonne en forme d’étoile autour d’un massif de cyprès. Sur le devant, un beau potager et un plant d’oliviers descendent jusqu’à la route.

Les terres qui accompagnent la maison avaient été affermées, et le verger, le jardin même, étaient en bon état ; mais la maison, qui était restée inhabitée pendant près de seize ans, se ressentait de ce long abandon. Il s’était même formé à quelques endroits des lézardes qui inquiétaient Mme  d’Azado ; elle craignait d’être forcée d’abattre ce vieux logis où dans son enfance son père l’avait souvent menée en villégiature. Didier lui démontra qu’elle s’exagérait le dommage, que les murs et les planchers étaient encore solides, qu’il suffirait de quelques réparations pour faire de la villa abandonnée, sinon un palais, du moins une maison logeable. Avant qu’il fît nuit close, il eut le temps de tout visiter de la cave jusqu’au grenier, et il répondit si pertinemment à toutes les questions de sa cousine, il lui donna de si sages conseils, qu’elle fut enchantée de lui et le jugea tout autre qu’il n’était. À vrai dire, elle ne le connaissait encore que par la présence d’esprit et la dextérité dont il avait fait preuve en arrêtant un cheval qui s’emportait. Cet homme d’action prompte et résolue était aussi un homme de bon conseil, très expert en matière de moellons et de devis. En l’entendant raisonner si bien et d’un ton si aisé, le moyen de s’imaginer que chaque mot coûtait à sa paresse et qu’il se disait tout bas : — Mon Dieu ! que tout cela m’est indifférent et qu’il me tarde d’en être quitte !