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de Cornélius, et il trouvait le prince disposé à l’entendre. Peut-être la réception trop brillante faite en France à l’artiste offusquait-elle secrètement le monarque. Cornélius sentait le sol se dérober. Frédéric-Guillaume IV, qui venait de monter sur le trône de Prusse, lui faisait des avances ; Niebuhr lui vantait les qualités du prince dont il avait été le précepteur ; il y avait de l’honneur à participer, avec des hommes tels que Schinkel et Rauch, à l’exécution de vastes projets qu’on prêtait vaguement au nouveau roi. Cornélius pouvait croire d’ailleurs qu’entre les mains d’artistes comme Schnorr et H. Hess les principes qu’il avait voulu implanter ne couraient à Munich aucun péril. Il se laissa tenter, non pas légèrement toutefois, car c’est seulement après une année de réflexion, le 12 avril 1841, qu’il donna sa démission, et qu’au milieu des hommages qui lui furent rendus de ville en ville, à lui et à sa famille, il traversa l’Allemagne pour aller s’établir à Berlin, sans autre fonction que celle de conseiller le roi dans les projets qu’il méditait.

La gloire a ses trahisons, et Cornélius ne devait pas tarder à en connaître l’amertume. — Visites, banquets, sérénades, défilés aux flambeaux sous ses fenêtres, rien ne lui manqua dans les premiers temps de son séjour à Berlin. Accueilli avec distinction par le roi, il se trouva tout d’abord en relation sur le pied d’égalité avec tous les personnages éminens de la capitale, A. de Humboldt, les frères Grimm, Schelling, Rauch, Steffens, etc. En même temps il recevait de la reine de Portugal une lettre autographe où elle l’invitait à lui envoyer quelques-uns de ses élèves pour exécuter des fresques à Lisbonne, et un riche amateur anglais, lord Monson, obtenait de lui qu’il vînt en Angleterre décorer un de ses châteaux. Cornélius, en s’y rendant, rencontrait à Dusseldorf, à Cologne, à Bruxelles, une réception enthousiaste. Malheureusement lord Monson était mort lorsque Cornélius arrivait à Londres ; mais à son retour le roi de Prusse le chargeait de faire les dessins d’une sorte de bouclier religieux (Glaubenschild), qu’il voulait offrir à son filleul, le prince de Galles, en souvenir du baptême, qui avait eu lieu le 25 janvier 1842. Cet ouvrage, exécuté en argent, rehaussé d’or et de pierres précieuses, a figuré à l’exposition de Londres en 1851 ; on fut surtout frappé de la bizarrerie de l’ensemble, et l’on ne vit pas sans surprise le rapprochement inattendu des sacremens personnifiés et de la nymphe de la Tamise, du démon du feu et d’un steamer, des héros de l’Évangile et de personnages vivans, tels que le prince Albert et lord Wellington recevant le roi de Prusse habillé en pèlerin, suivi de M. de Humboldt et du comte de Stolberg. Enfin fut exposé l’année suivante, dans la galerie de Raczynski, le premier ouvrage important de Cornélius qui eût vu le jour en Prusse, un tableau à l’huile