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type antique du prince des ombres ; les plus ignorans s’étonnent de voir figurer dans l’Olympe Silène ivre et les faunes montés sur des boucs, fantaisies qu’on pardonnerait, si elles étaient rachetées par l’exécution, et si nous n’étions avertis que tout doit être ici d’une vérité indiscutable. La salle des héros, où sont peintes les scènes de l’histoire de Troie, donnerait lieu à des objections analogues. Le sens humain n’en a pas été suffisamment dégagé des accidens qui l’obscurcissent ; mais surtout l’artiste n’y a pas mis le sceau divin de la beauté. Combien d’incorrections, de lignes anguleuses et dures, de tons faux et désagréables qui ôteraient son charme à la vérité même ! Après tout, l’art est l’art, c’est-à-dire qu’il agit par les moyens qui lui sont propres et qu’il crée lui-même ; la beauté, la grâce, la majesté des lignes, la magie des couleurs, c’est par là qu’il saisit, qu’il élève l’esprit, qu’il y grave ses enseignemens, qu’il subjugue, en la charmant, l’organisation la plus rebelle.

Lorsqu’il fut appelé à la peinture religieuse, Cornélius n’eut pas, comme tant d’autres, à surmonter son propre scepticisme en même temps qu’à triompher de l’indifférence générale d’une époque qui ne rend plus à la tradition chrétienne que des respects de convention. Il était croyant, et il l’était avec une liberté d’esprit que ses amis n’ont pas toujours conservée. L’ancien protestant Overbeck, l’ancien juif Philippe Veit, dans la ferveur d’un zèle très sincère sans doute, ne se sont pas toujours défendus d’un prosélytisme indiscret qui s’est fait jour jusque dans leurs tableaux ; ils ont peint quelquefois moins en artistes qu’en sectaires. Cornélius n’est jamais tombé dans cet excès, non toutefois qu’il fût tiède et porté aux transactions ; c’était au contraire un esprit entier jusqu’à la dureté. Il regardait l’art comme inséparable de la religion et presque comme, étant lui-même une religion ; il réprouvait dans les réformateurs du XVIe siècle non-seulement des iconoclastes par nature, mais les initiateurs d’un âge de calcul et de matérialisme ; il les accusait d’avoir follement compromis la foi en voulant détruire la superstition, d’avoir jeté l’enfant avec le bain. « Qu’on supplée, disait-il un jour, la foi, quand on l’a perdue, par la réflexion philosophique, c’est-à-dire qu’à la place du cœur on n’écoute que la froide raison, qu’on renonce à la poésie du sentiment religieux pour la sécheresse de la réflexion, je le comprends ; mais je vois entre ces choses un abîme, et je remercie Dieu de m’avoir fait naître et conservé catholique. » C’est bien là parler en artiste, et l’on ne s’étonne plus si avec des idées, aussi absolues il a fait figurer Luther parmi les damnés de son jugement dernier. Il eut la sagesse ou le bonheur de s’arrêter sur la limite du fanatisme.

Du reste Cornélius n’est pas un croyant naïf ; la philosophie l’a