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dernier acte de l’histoire, le dénoûment encore enseveli dans la brume des siècles à venir, mais inévitable, qui clôt le temps et ouvre l’éternité ; il a un sens dramatique. Pour le peintre moderne, c’est la main souveraine du Christ partout présente pour rétablir l’équilibre et à chaque moment efficace ; le jugement dernier n’a qu’une signification idéale. Cornélius n’a pas craint de se mettre en règle avec l’humanité moderne par un abandon du sens littéral qui est une victoire de la raison sur le dogme ; mais qu’importe tout cela ? L’art, encore une fois, enseigne par la splendeur de la forme, et la forme est ici grandement défectueuse. L’œil est blessé par un dessin violent et parfois incorrect, par une coloration claire où dominent les tons rougeâtres, d’où résulte un papillotage augmenté encore par la couleur criarde de l’encadrement architectural. Malgré des groupes heureusement conçus, l’ensemble produit un effet douteux et pénible qui a glacé l’éloge jusque sur les lèvres des admirateurs les plus intrépides du talent de Cornélius. Cette œuvre immense se compose de parties hétérogènes où l’on reconnaît un peu d’Albert Dürer, un peu de Michel-Ange, un peu d’Overbeck, un rayon de l’énergie antique perdu dans mille traits de sentimentalisme moderne.

Nul peintre n’a plus visé que Cornélius à la popularité dans la grande acception du mot, je veux dire que nul ne s’est porté d’un plus impétueux effort vers cette région où les différences de culture s’effacent et où ne reste que le fonds purement humain des sentimens communs à tous. Il professait hautement son mépris pour les qualités subalternes qui font les délices des connaisseurs, et il voulait arracher l’art à ce culte humiliant du joli où s’est perdu l’art du XVIIIe siècle. Il a essayé pour cela de le ramener au sublime, qu’on me passe l’expression, révolutionnairement. Par malheur le sublime est de sa nature involontaire, il éclate sans préméditation ni travail comme les forces physiques ; on n’y arrive point par un calcul, on ne s’y guinde pas de parti pris ; ce qu’il y a de sublime dans Michel-Ange jaillit spontanément de son génie tourmenté. Cornélius ne pouvait que fausser l’art par cette tentative malencontreuse. Si le sublime, qui est le propre des âges primitifs comme le beau est celui des époques cultivées, peut se rencontrer encore aujourd’hui par accident, ce n’est pourtant pas en vain que l’humanité s’est raffinée, que le goût y a pénétré avec la civilisation, le goût, qui est à la fois une règle et une force. Il ne suffit pas de ne reculer devant aucune violence d’expression ou de mouvement et de tout oser pour être sublime ; on ne réussit qu’à blesser en même temps par ces imperfections et les délicats qui les découvrent et les simples qui les sentent d’instinct sans s’en rendre compte. Il faut plaire au goût, et c’est pour ne l’avoir point fait que Cornélius n’est