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décorateur ; il se flattait d’être un penseur, un réformateur et un peintre. Il est incontestable qu’avec la faculté de développer un thème choisi, Cornélius ne possédait pas le tempérament, l’instinct de la perfection et du coloris qui soutiennent l’artiste sur la route longue et rude de l’exécution. Au reste, les grandes épopées spiritualistes qu’il entreprenait de dérouler aux yeux trouvaient peut-être mieux leur expression dans un procédé presque abstrait comme l’esquisse ou le carton que dans le procédé plus concret de la peinture. Si d’une part l’artiste avait impérieusement besoin de la liberté du crayon pour fournir sans perdre haleine l’immense carrière qui lui était proposée et poursuivre son idée à travers la multiplicité infinie des développemens, d’un autre côté cette idée même apparaît plus clairement dans le carton, où le spectateur, que rien ne distrait, en saisit le sens complexe avec plus de facilité.

Les compositions destinées au Campo-Santo de Berlin sont surtout remarquables par la rigueur de l’enchaînement. Il faudrait des détails sans fin pour mettre en lumière les innombrables rapports qui relient l’une à l’autre toutes les parties de ce vaste échiquier ; toutes sont commandées par la donnée première ; sous quelque aspect qu’on les considère et de quelque point que l’on parte, on y découvre toujours une loi ; pas un caprice qui vienne faire dévier la pensée. J’ai appelé ces compositions un poème, c’est un système philosophique que j’aurais dû dire, et en effet, dès que l’esquisse eut été soumise au jugement de l’opinion publique, les philosophes reconnurent là un des leurs ; la faculté philosophique de Munster s’empressa de décerner à l’artiste le diplôme de docteur en philosophie, doctor philosophiœ honoris causa, il comme à un homme aimé non-seulement des rois et des princes, mais encore des Grâces et des Muses. » C’est exactement comme si l’Académie des sciences morales et politiques eût appelé Hippolyte Flandrin ou Chenavard à s’asseoir dans son sein auprès de M. Michelet ou de M. Cousin. Cornélius ne s’étonna pas de cet honneur imprévu, il s’excusa seulement dans sa lettre de remerciement d’être obligé de déroger sur un point à la coutume. « Je vous devrais, selon l’usage, une dissertation qui vous offrît le résultat de mes études philosophiques ; mais ce n’est pas la plume, c’est le pinceau qui m’a jusqu’à présent servi à les poursuivre. Vous avez lu certainement ce que j’en ai écrit à Munich, et vous l’aurez facilement compris. Je suis loin encore d’être arrivé au terme de ma dissertation. La grâce de la Providence et la faveur du roi viennent de m’ouvrir un champ nouveau, un champ sacré où écrire et manifester ce que Dieu a mis dans mon âme. Puisse-t-il éclairer mon esprit, pénétrer mon cœur de son amour, ouvrir mes yeux à la magnificence de ses œuvres, guider chaque mouvement de ma main ! Vous n’aurez pas à rougir alors