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une classe de freemen (hommes ayant acquis la franchise de la cité) qui votaient sans satisfaire aux mêmes conditions. A l’origine, le privilège de bourgeoisie s’achetait par certains services, aujourd’hui il se transmet le plus souvent dans les familles par voie d’hérédité ; or, en dépit de leur titre, ces hommes libres appartiennent volontiers en fait d’élection au plus offrant. La loi de 1832 avait aussi beaucoup trop respecté les anciennes circonscriptions féodales, au lieu de prendre pour base la population et l’importance des bourgs dans le tracé des cadres électoraux. Il existait donc jusqu’en 1865 des localités où le vote était entre les mains de deux ou trois cents personnes connues qui posaient elles-mêmes les chiffres d’une candidature et se chargeaient ensuite de trouver les zéros. Au sein des grandes villes, une publicité sans limite, le droit de réunion et la rivalité ouverte des partis ne laissent aucun doute dans l’âme des électeurs ; mais peut-on espérer qu’il en soit toujours de même dans des bourgs ne contenant que cinq ou six mille habitans ? Là le cercle restreint des influences personnelles, la dépendance des fermiers vis-à-vis des seigneurs de la terre (land-lords) et le prestige qu’exerce partout en Angleterre la gentry (classe qui tient d’une part à la noblesse et de l’autre à la bourgeoisie), tout concourait trop souvent à obscurcir la liberté du choix. Moins l’opinion prenait de part à la lutte, et plus l’on s’attachait aux apparences. Un grand nom aristocratique, une calèche à quatre chevaux avec deux postillons en tête, le patronage de quelques ladies respectées pour leurs bonnes œuvres, et il y en avait quelquefois assez pour décider du sort d’une candidature. Si des bourgs nous passons aux comtés, le système du vote était encore bien autrement compliqué ; mais à quoi bon insister sur les vices d’un mécanisme électoral qui a fait son temps ?

Pour la question des votes, l’opinion libérale compte avant tout sur les villes, tandis que les espérances du parti adverse reposent en général sur les campagnes. Ne nous faut-il point expliquer le caractère assez mal connu en France de ces deux nuances politiques ? L’ancien tory, qu’on le sache bien, est aujourd’hui très rare en Angleterre. Je n’affirmerai point qu’on ne puisse encore le rencontrer dans quelque vieux château ou à l’ombre d’un presbytère en ruine ; mais je ne l’ai jamais vu, et tout porte à croire qu’il s’évanouit de jour en jour. Ce qui lui a succédé est le conservateur. En homme d’esprit, ce dernier fait chaque jour le bilan entre ce qu’il doit accorder aux circonstances, aux besoins du temps, aux exigences de l’opinion publique, et ce qu’il peut encore retenir des privilèges accordés par les anciennes coutumes à la naissance et à la fortune. Autant et plus peut-être que ses adversaires