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au contraire la bonhomie du lion se reposant sur sa force. C’est bien l’Anglais pur sang qui sait qu’il a droit de tout dire et d’être écouté quand même. Entre l’éloquence de John Bright le quaker et celle de M. Gladstone, ce fleuve toujours plein et qui ne déborde jamais, quel contraste ! Ce dernier parle comme on écrit, ponctuant en quelque sorte chaque membre de phrase par le geste et l’accent de la voix. Il est difficile d’imaginer quelque chose de plus magistral, de plus net et de plus véhément que ses magnifiques appels à la raison et aux sentimens de justice. On dirait que c’est la vérité, non l’homme qui cherche à vous convaincre. Quand il se rassoit au milieu d’un auditoire bouleversé par l’enthousiasme, tous les regards se portent vers M. Disraeli. Vêtu à sa propre mode, d’une redingote noire, d’un gilet blanc et d’un pantalon jaune clair, la chevelure noire et artistement jetée sur un front intelligent, le chancelier de l’échiquier, tant qu’il siège sur son banc, imprime à ses traits naturellement mobiles un air de calme et d’attention impassible. Quel changement quand il prend la parole ! Pour peu qu’il ait été piqué au vif par l’aiguillon de ses adversaires, il ne tarde guère à s’animer : l’œil tout inondé des éclairs du sarcasme ou des rayons de la poésie, l’orateur rappelle bientôt à tous ceux qui ont bonne mémoire que les dons sacrés du talent littéraire lui ont ouvert la carrière des honneurs. Dans un pays où le gouvernement n’a d’autre force que celle que lui donne la chambre, M. Disraeli ne s’aveugle d’ailleurs nullement sur la fragilité du pouvoir qu’il tient en main. Un souffle l’a élevé aux affaires, un autre souffle peut le renverser ; mais il sait bien aussi que sous un régime parlementaire, où les hommes sont par eux-mêmes tout ce qu’ils sont, les renommées acquises planent au-dessus des caprices de la fortune politique.

Tout étranger admis aux séances de la chambre des communes voit et entend beaucoup de choses nouvelles pour lui ; qui s’arrêterait pourtant aux coutumes de l’assemblée et au bruit des discours ? Ici tout est sérieux et appelle la réflexion. On a beaucoup parlé des emprunts que nos anciennes chambres de 1815 et de 1830 avaient faits aux Anglais ; il est permis de croire qu’elles ne leur avaient pas encore assez dérobé le secret de la puissance législative. Sous des formes extrêmement simples, dans cette salle sans tribune au milieu de ces législateurs qui ressemblent avant tout à des hommes d’affaires, que d’utiles leçons à recueillir sur le véritable esprit du gouvernement représentatif !

Ce qui frappe tout d’abord est le caractère et l’attitude du pouvoir exécutif. Où sont les ministres de la couronne ? Assis et groupés sur un banc en face de la grande table des secrétaires, ils ne se distinguent en rien à première vue des autres membres du