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connaît très bien son siècle et l’esprit de ses concitoyens me disait un jour : « Je ne voudrais point voir les radicaux trop longtemps dans les rangs de l’opposition ; ils y acquerraient une force qui leur manque encore. »

N’étant lié par aucune constitution écrite, le parlement britannique n’obéit qu’à d’anciens usages et à sa propre volonté[1]. En fait, ses attributions ne reconnaissent point délimites. On parle tous les jours de la constitution anglaise ; mais en quoi consiste-t-elle ? qui l’a jamais définie ? C’est le système général d’après lequel est conduit le gouvernement depuis la révolution de 1689 : il serait difficile d’en dire davantage. Si cette constitution n’est point gravée sur le marbre, elle se trouve en revanche burinée dans les mœurs, l’esprit et la conscience de tous ceux qui foulent le sol britannique. Peut-être nos voisins ont-ils agi sagement en s’abstenant avec soin de formuler les bases du pacte fondamental : les peuples, de même que les individus, ne tiennent pas toujours les engagemens qu’ils souscrivent, tandis que les uns et les autres sont bon gré mal gré fidèles à leur nature. Les partis politiques s’accusent souvent en Angleterre de vouloir altérer l’esprit de la constitution, sans qu’aucun d’eux puisse exactement citer le texte de l’article violé, et pourtant tout le monde s’entend. Dans ce mythe (car ce n’est guère autre chose), nos voisins idéalisent l’ensemble des institutions qui ont assuré la grandeur et les libertés du pays. La vérité est que la charte britannique a été plusieurs fois modifiée et qu’elle se transforme encore tous les jours. Je cherche un trait essentiel et qui suffira, je crois, à prouver ce que j’avance. Il y eut un temps où l’église d’Angleterre était regardée comme inséparable de l’état. Avant 1828, nul ne pouvait siéger ni dans le parlement ni dans les conseils municipaux sans participer aux sacremens selon les rites du culte établi. Rien de pareil n’existe plus aujourd’hui : l’église ni l’état n’y ont rien perdu ; mais il est évident que la constitution anglaise a subi par la rupture de cette alliance un changement profond. On pourrait citer mille autres exemples de ces

  1. Il est vrai que par ce mot de parlement il faut entendre non-seulement la chambre des communes, mais aussi la chambre des lords et la reine. On sait en effet que tout projet de loi doit recevoir la sanction de ces trois pouvoirs ; mais ce que plusieurs ignorent peut-être, c’est que l’assentiment de la couronne est encore censé être prononcé par le clerc en vieux français. Je dis censé, parce qu’aujourd’hui la reine approuve par commission ; mais si elle était présente en personne, le clerc assistant lui lirait le bill, et elle y donnerait son adhésion par un signe de tête, après quoi, s’il s’agissait, par exemple, d’un bill de subsides, le clerc dirait : « La reigne remercie ses bons sujets, accepte leur bénévolence, et ainsi le veult. » S’agirait-il de bills privés, il se contenterait de la formule suivante : « Soit fait comme il est désiré. » De même, lorsqu’un projet de loi est envoyé de la chambre des communes à la chambre des lords, le clerc écrit sur le dossier : « Soi balle aux seigners. »