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Angleterre contre les dangers du gouvernement personnel. Ne devant rien qu’à eux-mêmes et au pays, investis d’une autorité légale que nul ne peut accroître ni diminuer, les membres du parlement britannique peuvent aisément attaquer tous les abus sans ébranler aucune des colonnes de l’état.

Plus on admire le mécanisme des institutions anglaises, et plus on se demande si ceux qui ont voulu fonder chez nous le gouvernement représentatif ont eu assez de foi dans leur œuvre. Ne se sont-ils point laissé trop tôt intimider devant les dangers de la liberté ? Il est bien vrai que certains Anglais très libéraux dans leur pays ne le sont plus du tout quand il s’agit des affaires du continent. Eux seuls, à les entendre, seraient dignes du régime constitutionnel. Il y a plus d’un demi-siècle que Mme de Staël, avec l’autorité de son nom et de son talent, réfutait cet absurde sophisme, sous lequel se cachent d’ailleurs trop souvent de lâches transactions de conscience. Si le respect de la dignité humaine exige que les peuples se gouvernent eux-mêmes, il n’en est point un seul qui, arrivé à un certain état de civilisation et de bien-être, ne puisse trouver dans son histoire, dans ses lumières et dans ses mœurs les formes qui conviennent le mieux à l’exercice de ce droit imprescriptible. Je reconnais qu’un tel système politique exige plus d’un genre de dévouement, et que la liberté est le pain des forts. Pour le maintien des institutions anglaises, il faut une presse toujours éveillée, une opinion publique sachant résister à ses propres entraînemens, la fidélité des hommes à leurs principes et la robuste confiance dans ce que M. Gladstone appelle les forces silencieuses et inéluctables du temps. Bien plus commode est l’oreiller de l’obéissance passive à ceux qui cherchent le repos et l’oubli ; seulement les peuples qui n’abandonnent point à d’autres le droit de penser et d’agir trouvent la récompense de leurs sacrifices dans le développement du courage civil. C’est parce que nos voisins croient en eux-mêmes et en leurs institutions qu’ils résistent aux influences de la peur et à l’amollissement des consciences. La lutte perpétuelle des idées empêche les caractères de s’abaisser et de s’avilir dans la recherche exclusive du bien-être présent. N’est-ce point à la rude épreuve journalière des conflits de la parole, aux grandes leçons de ses libres orateurs, que l’Angleterre doit d’avoir traversé dans ces derniers temps une période inouïe de prospérité sans que le culte des intérêts matériels ait affaibli le respect des œuvres de l’esprit ni désarmé les aspirations de la masse vers l’idéal du progrès ? Avertis par mille voix, habitués à ne s’endormir ni dans la défaite ni dans la victoire, aguerris contre toutes les discussions, ce ne sont point les Anglais qui se laissent aisément surprendre par les événemens, car ils savent que