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montrès d’une parcimonie fâcheuse. L’exposition collective a été tardive et insuffisante, et dans les expositions individuelles point de noms de premier ordre, si ce n’est MM. Bazley et Armitage. Aucun de ces fabricans d’indiennes qui impriment jusqu’à 40 millions de mètres d’étoffes par an ; rien de nouveau d’ailleurs ni de saillant dans les produits. D’où vient cela ? Est-ce indifférence, est-ce dédain ? Non, c’est plutôt le sentiment qu’une industrie dans sa convalescence a besoin de se recueillir. A en juger par les abstentions, ce calcul a dû être commun à toute la région allemande. A part Gladbach, dans la Prusse rhénane, qui a fourni quelques filés ou tissus, et un petit nombre de lots venus de la Bohême, de Plauen entre autres, il n’y a à noter dans le reste de l’Europe que l’effort très marqué fait par la Russie pour introduire chez elle l’industrie du coton de toutes pièces. En Suisse seulement, un incident s’est produit, non dans la filature ni dans l’ensemble des tissages, mais dans un art spécial, la broderie. On sait de quel intérêt cette broderie, en apparence secondaire, est pour les cantons qui confinent au lac de Constance, Saint-Gall et Appenzell. Ces deux cantons, qui, réunis, ne comptent pas 300,000 âmes, ont pu, dans une seule branche d’industrie, balancer la fortune des grands états, former 50,000 ouvrières et créer une valeur annuelle de 30 millions de francs. Curieuse industrie, surtout par la manière dont elle s’exerce ! Elle a ses comptoirs et ses magasins à Saint-Gall, d’où part et où aboutit l’impulsion, mais ses ateliers sont en grande partie en plein air, dans les deux Appenzell ou les deux Rhodes, comme on les nomme. Qu’on se rende à Trogen et à Hérisau, et le long des chemins on verra les ouvriers et les ouvrières à l’œuvre. Toute fille gardant un troupeau, quelquefois de jeunes garçons, promènent l’aiguille sur un tambour garni d’une étoffe enroulée ou exécutent au crochet des bandes de rideaux. C’est l’emploi obligé des mains disponibles, et partout on s’y livre, sur le seuil des portes, sous les tonnelles, dans les prés, dans les bois ; le tambour à broderie est un compagnon dont on ne se sépare point : ici il est suspendu aux branches des arbres, là au joug des bœufs, en mouvement ou au repos, toujours à portée.

Ce tambour nomade est sérieusement menacé ; il y a au Champ de Mars, sous les vitrines de l’estrade suisse, une série de broderies exécutées mécaniquement, douloureux présage pour les deux cent mille femmes qui en Europe vivent de l’aiguille ou du crochet à broder. Nous avions bien eu des essais en ce genre à Saint-Quentin et à Paris, mais ils s’étaient réduits à quelques dessins très simples, des points d’esprit, des fleurs informes, des tâtonnemens en un mot. Ici, dans les coupons exposés, l’exécution est