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franche, avec des reliefs très nets, et l’ornement semble comporter à peu près tout ce qui se fait au tambour. Si c’est là une œuvre sérieuse et qui puisse devenir industrielle, ce sera un chapitre de plus à ajouter à cette révolution mécanique, cause déjà de tant de souffrances populaires. Nul doute que la vie rurale n’en soit profondément troublée dans les cantons où la broderie à la main était depuis longtemps une ressource régulière, ayant sa place dans le budget des ménages. Cette ressource, le cas se réalisant, disparaîtra ou du moins se modifiera : la fabrique au pied levé fera place à la fabrique sédentaire. Si habitué que l’on soit à ces déplacemens, on ne saurait assister à celui-ci sans regret. Le sort ne pourrait frapper un meilleur peuple. La campagne du Rhode extérieur est une suite de jardins coupés de quelques cultures ; nulle part les habitudes pastorales ne sont demeurées plus en honneur. Point de villes, quelques bourgs à peine, surtout des maisons éparses et entourées d’un clos. Ce qu’on nomme une police dans les grands états est ici chose inconnue ; une surveillance mutuelle, là où tout le monde se connaît, suffit pour la sûreté des personnes et le maintien des bonnes mœurs. La loi politique du pays est un régime patriarcal où les dissentimens sont rares. Il en existait un autrefois dans la différence des religions, l’un des deux Rhodes étant protestant, l’autre catholique ; quelques troubles en étaient même issus. Ces troubles appartiennent désormais à l’histoire ; ils se sont éteints il y a plusieurs siècles dans un pacte respecté de part et d’autre, et si bien que dans quelques localités les mêmes églises et les mêmes temples servent indistinctement aux cérémonies des deux cultes.


III

Nous voici aux fils et aux tissus de laine ; c’est l’industrie que depuis dix ans les événemens ont mise le plus en évidence. Les dommages qui se multipliaient autour d’elle lui ont profité ; elle a pris au coton tout ce qu’elle pouvait lui prendre et a empiété sur la soie en s’efforçant d’en imiter le lustre. Elle s’est arrondie, en un mot, pendant que par la force des choses ses deux rivales subissaient des démembremens. Que la maladie du ver cesse, que les beaux cotons abondent de nouveau, et la laine sera, comme tous les conquérans, exposée à des représailles.

Elle est menacée d’un autre côté. On sait ce que l’industrie des lainages doit à l’introduction du mérinos, qui date de la fin du siècle dernier, et aux croisemens qui en sont issus. Après une