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sûreté et l’adresse de la main ; l’ensemble néanmoins ne laisse qu’une impression vague. On a sous les yeux des objets dont la signification échappe. A quoi sont-ils destinés ? On ne le saisit pas d’abord ni sans commentaire. Cela tient à ce qu’on s’y est montré moins préoccupé de l’usage ou du style que de la richesse, et qu’on les a trouvés suffisamment commodes dès le moment qu’ils étaient copieusement ornés. Peut-être le tort en est-il moins au fabricant qu’au client, enclin à imposer son mauvais goût. Autrefois l’artiste n’avait affaire qu’à des souverains ou à de grands seigneurs ; maintenant il est obligé de compter avec tout le monde et souvent de se gâter la main pour plaire à des acquéreurs inintelligens. La profusion des ornemens nous vient de là ; c’est une des faiblesses des parvenus. On aime ce qui brille, ce qui saute à l’œil, ce qui a les apparences de la richesse ; on prise moins les travaux délicats ou sévères qui s’adressent à l’élite et relèvent de suffrages plus éclairés.

Personne n’est plus heureux en ce genre que M. Fourdinois ; dans les trois concours qui se sont succédé, des récompenses de premier ordre lui sont échues, en 1855 pour une bibliothèque en poirier noirci, en 1862 pour un bahut d’ébène, en 1867 pour deux meubles, l’un en chêne sculpté, l’autre en ébène, relevés par une riche marqueterie. Ces meubles sont à la fois d’une exécution d’apparat et d’un genre indéfini, double écueil volontairement affronté. On peut tout aussi bien y voir des médailliers, des bahuts ou des armoires. Tels quels, ce sont des modèles d’incrustation patiente. L’un des soubassemens est à lui seul une page d’art, un peu chargée, mais exquise ; le jaspe, le vert antique et le lapis-lazuli sont enchâssés et combinés de telle sorte, les bois choisis et préparés avec une telle entente des effets, que l’harmonie se maintient au milieu des plus vigoureux contrastes ; des statuettes d’un très bon style achèvent cette décoration. En réalité, ce ne sont pas là des meubles ; ce sont des objets d’art et de curiosité, comme on en trouve encore dans quelques galeries italiennes, et qui au temps de la renaissance se distribuèrent à profusion dans les palais des princes ou de marchands comme les premiers Médicis. A quoi répondraient aujourd’hui des meubles pareils ? Il leur faut plus d’espace qu’on n’en a communément, des oisifs qui puissent en jouir, des curieux qui sachent les goûter, des riches qui ne regardent pas de trop près au prix qu’on en demande ; c’est un débouché bien réduit. Les Anglais en sont comme nous à l’imitation, avec un degré de plus ; ils nous copient dans ce que nous copions. Seulement, et où reconnaît là une qualité qui leur est habituelle, ils approprient mieux les objets à la destination ; ce mérite est commun à leur