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personnes ni quant aux doctrines, s’il arrivait qu’on dût le prendre lui-même à partie. Cette dernière idée était loin de déplaire à Épiphane, car, après avoir ramené à résipiscence le patriarche d’Alexandrie, quelle gloire pour lui s’il allait convertir encore celui de la ville impériale !

Il fut fait suivant le vœu de Théophile. Le métropolitain de l’île de Chypre, réunissant ses suffragans en synode, leur dicta une formule de foi complète concernant Origène et ses fauteurs ; puis le décret synodal, accompagné des lettres encycliques des deux évêques, fut envoyé dans tout l’Orient. L’archevêque de la ville impériale étant un trop haut personnage pour qu’on se contentât à son égard de la voie ordinaire de transmission, Épiphane voulut lui déléguer un de ses prêtres pour lui remettre la dépêche et lui exposer en même temps de vive voix la responsabilité qu’il encourait en protégeant des hérétiques condamnés. Toutefois le délégué d’Épiphane n’eut pas l’occasion de partir. Théophile, qui possédait dans le port d’Alexandrie des moyens de communication bien autrement rapides et fréquens qu’on n’en pouvait avoir à Salamine, prit les devans pour narguer l’archevêque ; il lui envoya l’encyclique d’Épiphane et les deux décrets synodaux avec ces simples mots de sa main : « Les pièces ci-jointes sont importantes. Je t’engage à les méditer et à ne point fermer ton cœur aux avertissemens du saint évêque dont le monde chrétien écoute les décisions comme des oracles. » Chrysostome, en ouvrant la dépêche et parcourant les pièces, n’y vit d’abord qu’une invitation de prendre part à une de ces disputes théologiques dans lesquelles Épiphane avait passé sa vie. Porté par caractère à l’application morale des principes évangéliques, il avait montré toujours peu de goût pour des discussions qui lui rappelaient trop les écoles des rhéteurs. Son premier mouvement fut donc de jeter là la dépêche en s’écriant : « J’ai bien besoin en vérité de toutes ces belles choses pour agiter mon peuple, comme si mon devoir n’était pas de lui servir une autre nourriture en lui prêchant la parole de Dieu ! »

Toutefois un scrupule le prit, et il relut les lettres avec attention. En réfléchissant sur cet accord singulier de Théophile et d’Épiphane, à cette alliance d’un homme pervers et d’un saint homme très simple pour lui faire la leçon et tendre pour ainsi dire un lacs autour de lui, il se montra inquiet, puis, après un moment de silence, il dit aux amis qui l’entouraient : « Ces hommes-là veulent ma déposition ; mais ils ne l’auront pas facilement. Je tiens à mon siége épiscopal, parce que Dieu m’y a placé. » Il ajouta d’un ton plus doux : « Mon plus cher souci sera toujours d’accomplir mon devoir jusqu’au bout. Puissé-je obtenir par là le pardon de mes fautes et le salut de mon âme ! » Il eut d’abord l’idée de ne point