Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 71.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
100
REVUE DES DEUX MONDES.


intraitables de ces catéchumènes, les Huns, avaient fini par croire en lui, et l’appelaient le Dieu des chrétiens. Cet homme simple avait rapporté de Grèce, entre autres livres, quelques-uns des ouvrages d’Origène, et quand il ne courait pas à cheval à travers les steppes désertes, quand il n’appréhendait pas au corps quelque barbare qu’il prétendait convertir, il déployait les rouleaux de sa bibliothèque, où il avait puisé l’enthousiasme d’Origène.

Son étonnement fut donc grand lorsqu’il entendit au logis d’Épiphane les anathèmes fulminés contre Adamantius, « l’homme de diamant, » ainsi que les contemporains appelèrent dans leur admiration cette idole de Théotime. Il se tut, mais pour prendre une revanche éclatante. Un jour que la conversation roulait encore sur le même sujet, l’apôtre de la petite Scythie tira de sa robe un rouleau qu’il se mit à lire à haute voix. Ce rouleau faisait partie des ouvrages d’Origène et contenait des passages inattaquables au point de vue du dogme, merveilleux pour l’élévation de la pensée et l’ardente foi dont ils communiquaient la flamme. À un passage en succédait un autre au milieu du silence général ; puis Théotime prit la parole. « Je ne comprends pas, s’écria-t-il avec force, comment on ose attenter à la renommée d’un homme à qui l’on doit mille choses pareilles et de plus remarquables encore, et comment on le déclare fils de Satan, hérésiarque au premier chef et damné. Si vous trouvez dans ses livres des choses moins belles que celles-là, si vous en trouvez même de mauvaises, mettez-les de côté ; laissez le mal, choisissez le bien. Condamner Origène sans rémission pour quelques erreurs, c’est un acte odieux et criminel. » Ce rude prélat exprimait dans un style tranchant comme l’épée d’un Goth ce que dit plus tard avec élégance le patriarche Théophile, qui n’était pas, au moment dont nous parlons, à sa dernière évolution sur l’origénisme : « Origène est un jardin où se trouvent des fleurs d’une rare beauté, et parmi elles des épines et des broussailles. Je ne détruirai pas le jardin pour cela, j’enlèverai les ronces, et je jouirai des fleurs. » La sortie de Théotime, connue au dehors, égaya la malignité publique aux dépens d’Épiphane.

Cependant les affaires de la cabale avançaient lentement. L’évêque de Chypre n’ayant autour de lui que des ecclésiastiques ou des gens du monde déjà prévenus contre Chrysostome et convaincus à l’avance de sa culpabilité, tandis que celui-ci, appuyé sur le peuple, semblait dédaigner tout le reste, on résolut de s’adresser pareillement au peuple afin de l’attaquer dans son propre camp. Il devait se célébrer sous peu de jours une grande collecte à l’église des apôtres : c’était une occasion de cathéchèse et de discours auxquels pouvaient prendre part les évêques étrangers assistant aux prières. Des meneurs imaginèrent d’y faire aller Épiphane, et là le