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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


avait sacrifié son repos et une partie de sa dignité, il haïssait Constantinople, et quand il monta sur le navire qui devait l’emporter, il dit aux évêques qui l’accompagnèrent jusque-là : « Je vous laisse votre ville, votre palais, vos spectacles ; j’ai bien hâte, je vous assure, de quitter tout cela ! » » Ce furent ses dernières paroles.

À mesure que le navire s’éloignait, fendant les eaux de la Propontide, le reste d’exaltation qui le soutenait encore tomba devant la réflexion. Il ne lui resta plus que le sentiment d’une défaite déshonorante. Les fatigues de la mer, se joignant aux tristesses de l’esprit, achevèrent de ruiner une constitution déjà trop affaiblie. Hors d’état de supporter les assauts de la fièvre qui le saisit, il s’éteignit durant la traversée, sans avoir revu les côtes de sa chère Salamine.

Cette mort si prompte, si peu attendue, était de nature à frapper des esprits superstitieux, et lorsque plus tard on vit son antagoniste, Jean Chrysostome, condamné, déposé, chassé, aller mourir en exil, il se forma du rapprochement de ces deux faits une légende populaire que les contemporains nous ont transmise. On prétendit que, dans une dernière entrevue dont l’histoire ne parle pas, Épiphane aurait dit à Chrysostome : « J’espère que tu ne mourras point évêque ; » à quoi celui-ci aurait répondu : « Et moi j’espère que tu ne mourras pas dans ton île de Chypre. » Si la légende avait pour but de montrer l’esprit prophétique des deux saints, elle ne fait guère briller leur charité.

La désertion d’Épiphane laissait à Chrysostome le champ de bataille : il eût dû user modérément de la victoire ; mais telle n’était pas la pente de son caractère. Il restait d’ailleurs en face de ses vrais ennemis, de ceux entre les mains desquels le vaniteux vieillard n’avait été qu’un instrument dont ils avaient joué sans pitié, et à leur tête l’imagination de Chrysostome plaçait toujours Augusta, ses favorites et les évêques de cour. Contre ceux-là, sa colère n’attendit pas longtemps pour prendre une revanche. On l’avait abreuvé d’humiliation et de fiel vis-à-vis de sa ville, vis-à-vis de son peuple ; la vengeance éclata comme malgré lui. Dans un discours que nous ne connaissons que par quelques mots de l’histoire (car, les tachigraphes n’ayant point osé le publier selon toute apparence, il manque à la collection de ses œuvres), il s’appesantit sur les désordres des femmes en général, et stigmatisa particulièrement celles qui, mêlant aux galanteries de la vie mondaine la prétention de gouverner l’église, sèment la discorde dans le sanctuaire, et persécutent les ministres de Dieu. L’histoire nous dit en propres termes que dans les tableaux hardis qu’il présentait à son auditoire tout le monde reconnut Augusta et son entourage. L’impératrice était absente, mais des gens officieux ne manquèrent pas d’aller lui tout révéler. L’at-