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CHRYSOSTOME ET EUDOXIE.


ce lâche avec une telle violence qu’il eut à peine le temps de s’échapper et de regagner le détroit. Toutefois cette bravade insultante vis-à-vis d’un homme tombé, d’un ancien ami, d’un protecteur offensé, de la bouche de qui Sévérien recevait naguère le pardon et la paix, mit Chrysostome hors de lui. Il vit là une insulte de l’impératrice elle-même par l’intermédiaire de cet évêque de cour, sa créature, et, confondant la souveraine avec le conseiller, il tint au peuple dans sa basilique un discours resté fameux et qui décida vraisemblablement sa ruine, encore suspendue.

« Mes frères, dit-il à cette foule frémissante autour de sa chaire, une furieuse tempête nous assaille, et les flots nous battent avec plus de force que jamais ; mais nous ne craignons point d’être submergés, car nous sommes fondés sur le roc. Que la mer sévisse tant qu’elle voudra, ce roc ne saurait être ébranlé. Que les flots s’enflent et débordent, le navire de Jésus ne sombrera pas. Et qu’ai-je à craindre, je vous prie ? La mort ? Je dis comme l’apôtre : « Ma vie est le Christ, et la mort m’est un gain. » — L’exil ? La terre est au Seigneur avec tout ce qu’elle contient. — La confiscation ? Je n’ai rien apporté en ce monde, et je n’en remporterai rien. Tout ce qui peut faire trembler les hommes, je le méprise. Je me ris des biens, je me ris des dignités que les autres convoitent. Richesse ne m’est pas plus que pauvreté, et si je désire vivre, c’est pour être avec vous, c’est pour travailler à votre perfectionnement spirituel. Je vous parle comme je fais et j’en appelle à votre amour pour que cet amour soit confiant. Non, non, on ne scinde pas, on ne mutile pas l’église ; l’église est indivisible. On n’y sépare pas le chef des membres, ils restent unis malgré tout. Ce qui a été dit de l’homme et de la femme est encore plus vrai du pasteur et du troupeau : ils ne font qu’un, et ce que Dieu a uni, l’homme est impuissant à le séparer… Que sont devenus, dites-moi, les tyrans qui tentèrent jadis d’opprimer l’église ? Dites-moi où sont leurs chevalets de torture, où sont leurs fournaises, où sont les dents de leurs bêtes féroces et les glaives aiguisés de leurs bourreaux ? Ils ont voulu agir et n’ont rien fait. Le même silence et le même oubli recouvrent pour toujours les tyrans et l’arsenal de leurs crimes ; mais l’église où est-elle ? Elle resplendit, plus éclatante que le soleil, sur tout l’univers, et si les tyrans n’ont pu étouffer la foi quand il existait à peine des chrétiens, comment peuvent-ils l’espérer aujourd’hui que les chrétiens couvrent la terre ?

« On vit parfois au temps des martyrs toutes les cruautés imaginables s’exercer sur une jeune fille à peine nubile, et cette vierge se montrer plus forte que les aiguillons de la torture ou que les morsures de la flamme. Les dents de fer avaient beau labourer ses