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plutôt tel des idiomes slaves ? » Un des moines s’approcha même d’une notabilité tchèque et murmura tout bas : « Comment, vous aussi (vous, catholiques, voulait-il dire), vous allez chez les Moscovites ? Nous ne nous attendions pas à cela… » — « Conçoit-on pareille inconvenance ! Les officiers durent intervenir… » s’écrie ici le député slave auquel nous devons le récit de cette scène curieuse. Deux autres de ses collègues (MM. Chaffarik et Hammernik) firent part aux officiers de l’impression que leur avait laissée cette visite de Czenstochowa : les Polonais, pensèrent-ils, ne sont pas aussi dépouillés qu’on le dit, puisque le couvent de la Claire-Montagne conserve encore tant de richesses en fait d’ornemens d’église et d’ex-voto[1]. Il était assurément juste, digne et charitable de signaler à l’administration moscovite cette irrégularité de service : les officiers interviendront

Le même jour, bien tard dans la nuit, les « hôtes » arrivèrent à Varsovie, et ce n’est que le lendemain, le 17, qu’ils purent visiter les églises, les écoles et les monumens de cette cité de douleur, « de cette ville qui pourrit dans son polonisme stagnant, » ainsi que s’exprime élégamment le député-écrivain mentionné plus haut. La journée fut riche en traits tragi-comiques, bornons-nous à en citer un seul. La plupart des « hôtes » portaient la czamarka (redingote à brandebourgs) ; or, comme c’est là un costume national polonais et en cette qualité rigoureusement prohibé, l’administration russe dut organiser à la hâte et pour ce seul jour une contre-police ayant mission de protéger la czamarka slave contre la police ordinaire, vouée à la persécution de la czamarka polonaise. Le soir eut lieu dans le club russe un dîner en l’honneur des « frères » auquel assistèrent toutes les illustrations de la capitale, les généraux, les sénateurs, les hauts tchinovniks) les popes et les archipopes, plus de trois cents personnes. Ce banquet éminemment slave fut présidé par un Allemand pur sang, — le général Von Minkwitz, chef d’état-major de l’armée russe en Pologne, — et quoi d’étonnant du reste, puisque tous les épanchemens intimes des « hôtes » entre eux et avec les Russes se faisaient en allemand ? On a pu le constater ici comme ailleurs, à Varsovie comme à Saint-Pétersbourg et à Moscou[2], car c’est là la fatalité de

  1. Courrier de Wilna (journal officiel) du 28 mai.
  2. On écrit à la Gazette (allemande) de Saint-Pétersbourg du 12 juin au sujet de la fête que les dames de Moscou ont offerte aux hôtes slaves : « Au début, les rapports réciproques des dames qui offraient la fête et de leurs hôtes n’étaient pas exempts d’une certaine contrainte. Nos frères, sont des gens fort aimables, de grands publicistes, des savans et des orateurs ; mais le parquet ciré n’est pas leur terrain familier. En outre il a fallu se sonder mutuellement sur les connaissances linguistiques. Le russe était généralement peu compris, le français n’allait que cahin-caha. Enfin l’aimable amphitryon, Mme de Vizine, prit son courage à deux mains et se mit bravement à parler l’allemand. Aussitôt la glace fut rompue comme par enchantement, et la conversation s’engagea et se poursuivit sur le ton du plus aimable sans-façon. »