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Russie. L’orateur de la « société des naturalistes » insista sur ce fait que la nature, bienfaisante et éternelle, n’a mis aucune barrière entre les Russes et les autres Slaves ; les frontières qui les séparent actuellement sont toutes artificielles, ils ont les mêmes montagnes, la même flore, les mêmes trésors minéralogiques enfouis dans le sol. — L’orateur de la « société d’économie rurale » se plaignit de ce que les habitans de la Bohême émigraient annuellement en si grand nombre pour l’Amérique au lieu d’aller chez un peuple-frère. « Il y a assez de place dans la sainte Russie ; la terre n’y manque pas ! En émigrant pour l’Amérique, un Slave court le jusque de perdre sa nationalité, sinon lui-même, du moins ses enfans ; en s’établissant en Russie, un Slave non-seulement ne perd pas sa nationalité, mais la fortifie et acquiert la conscience de sa dignité !… » Enfin l’orateur de la « société littéraire russe, » M. Stchebalski, aborda le grave sujet de la langue. Déjà le recteur, M. Barchev, avait touché à cette question épineuse. « Dieu seul, avait-il dit, sait où il mène la grande race slave ; mais, pour aller ensemble vers le but où il nous conduit, il faut que nous nous comprenions entre nous. L’unité de la langue est la plus forte des unités. » Précisant le problème, M. Stchebalski s’exprima ainsi : « De toute la masse des idiomes qui autrefois couvraient l’Europe, l’histoire a formé un petit nombre seulement de langues littéraires, et ces langues sont devenues les élémens conservateurs et moteurs de la civilisation générale. Frères slaves, suivons en ceci l’exemple de l’Europe occidentale ! Que chacun de vos idiomes se développe comme il veut, mais que tous apportent leurs différences locales et leur génie particulier en offrande au trésor commun d’une langue panslave ! Qu’une seule langue littéraire s’étende depuis l’Adriatique et Prague jusqu’à Arkhangel et l’Océan-Pacifique, et que chaque nation slave, sans égard à sa confession, adopte cette langue comme moyen de communication avec les autres !… » — « Oui, répondit un Bulgare, M. Bogorov, les Slaves doivent avoir une littérature commune et pour cela nous avons déjà une langue toute prête, la langue russe… »

Ce fut là le dernier et fin mot des délibérations dans la salle universitaire ; ce fut là la principale et « grande idée » que les députés du congrès de Moscou devaient reporter dans leurs divers pays ! A l’heure qu’il est, cette idée fait déjà son chemin ; à Prague, à Agram, à Belgrade, on demande à grands cris des chaires, des grammaires, des précepteurs et des théâtres russes ; les journaux tchèques, croates, etc., publient régulièrement des thèmes de la langue russe à l’usage du public, et M. Schmaler ne s’appelle plus seulement en slave et entre parenthèses Smoliar, il imprime encore ce nom en lettres russes ! Un seul parmi les illustres députés, un étudiant serbe,