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apologie magistrale de son œuvre en Pologne. « Il nous est impossible, dit la Gazette de Moscou, de rendre l’impression produite par le discours de l’honorable orateur ; on se précipita en foule pour embrasser le prince, Tcherkaskoï, et de tous les côtés on lui cria : Merci ! merci ! que Dieu vous bénisse (spasibô) !… » L’assemblée, un moment déconcertée, reprit sa sérénité et son entrain ; les convives se levèrent et se portèrent tous hors de la tente, devant la foule, précédés de la députation slave et du drapeau des saints Cyrille et Méthode ; « C’était vraiment un moment incomparable, un spectacle qui élevait l’âme. Cette mer de têtes humaines se calma instantanément, et tout le monde se découvrit devant le saint symbole de l’unité slave… »

Une rapide excursion à Cronstadt termina la longue odyssée des « Slaves étrangers » à travers la Russie. Dans ce port du golfe de Finlande, ils allaient « saluer avec piété la seule flotte purement slave qui existe au monde. » L’amirauté les reçut avec une grande pompe militaire, leur fit voir les forts, les arsenaux, les docks, les vaisseaux et les monitors en rade ; les matelots exécutèrent diverses danses nationales. Les hôtes dalmates furent surtout distingués : depuis la bataille de Lissa, ces enfans vigoureux de l’Adriatique, que Garibaldi appelle « ses frères en Italie, » sont devenus particulièrement intéressans pour la Russie. Du reste, à en croire le député dalmate au congrès de Moscou, le père Danilo de Zara, les rapports entre sa nation et la marine russe datent de loin, et ont toujours été fraternels et vraiment slaves. « En 1806, la flotte russe défendait les Dalmates contre les Français, et pendant la guerre d’Orient les Dalmates de leur côté recueillaient et cachaient les navires russes poursuivis par les croisières anglo-françaises. » Au dîner qui couronna la fête nautique de Cronstadt, un député du nom de Krstitch porta un toast à la flotte russe : « Que la flotte russe soit bientôt reconstruite et paraisse de nouveau dans l’Euxin, messagère de la délivrance ! Que le drapeau russe plane sur les Dardanelles, qu’il plane sur la basilique de Sainte-Sophie !… » C’est aussi dans la cathédrale de Cronstadt que fut déposée en procession solennelle l’oriflamme de Cyrille et Méthode, le témoin de tant de banquets fraternels, le symbole de l’unité slave.


III

Quelque étranges que puissent sembler les scènes qui viennent d’être esquissées, quelque bizarre que fût la grande féerie politique qu’on avait montée à Saint-Pétersbourg et à Moscou dans les mois de mai et de juin, on aurait tort de n’y point attacher d’importance, de n’y pas voir un symptôme menaçant et un véritable signe du